
Samedi, Mehdi Ouraoui, le chef de cabinet d’Harlem Désir, RT
par Pierre Moscovici, le ministre des Finances, envoie un tweet : « Honte à Mélenchon
pour qui Moscovici «ne pense pas français, mais pense finance
internationale». Discours des années 1930, à vomir ! » Je me
précipite sur les dépêches de l’Agence France Presse (AFP) et sur les sites des
journaux. Et, effectivement, Mélenchon aurait dit, en marge du congrès du PG,
devant une dizaine de journalistes, que Moscovici « ne pense pas
français (…), il pense finance internationale ». Je tweete à mon
tour : « Mélenchon plus stalinien que jamais. Y compris les relents
d’antisémitisme («Moscovici ne pense pas français, il pense finance
internationale») ».
Pourquoi « relents d’antisémitisme » ? Parce que
c’est bien de cela qu’il s’agit : Moscovici est juif, ses grands-parents
sont originaires d’Europe centrale et orientale, il ne l’a jamais caché, et
Mélenchon qui a milité dans le même parti que lui pendant près de 30 ans le
sait parfaitement. Dire qu’il ne pense pas « français », c’est
remettre en cause son identité française, c’est flirter avec cet antisémitisme
d’extrême droite qui fait des juifs - forcément toujours un peu apatrides et
donc qui ne pense pas français - les fourriers du capitalisme international
(« il pense finance internationale »). Mélenchon, un homme cultivé
qui connaît son histoire, ne peut pas plaider l’ignorance de ce que sa saillie
évoque. Mais, attention, je ne dis pas qu’il est antisémite, car je ne le crois
pas. Simplement, il joue avec les mots et les mémoires pour s’attirer les
sympathies d’une certaine France moisie. Comme je le dirais un peu plus tard,
il utilise un « sifflet à ultra-son antisémite ». Je ne suis pas le
seul à le penser. « C’est un vocabulaire des années 30 que l’on ne pensait
plus entendre de la bouche d’un républicain et encore moins d’un dirigeant de
gauche », a notamment protesté Harlem Désir, le premier secrétaire du
PS : « cette attaque sur l’identité française de Pierre Moscovici
donne le haut-le-cœur. Elle signe une dérive dangereuse qui doit cesser dans
l’injure et la mise en cause personnelle ». Le ministre des Finances
estime, lui, que Mélenchon « est en train, par détestation de la
social-démocratie, par détestation du PS, de franchir certaines bornes ».
« Il y a des choses auxquelles on ne touche pas ».
Las ! Le lendemain, il s’avère que l’AFP a mal retranscrit
les propos de Mélenchon. En réalité, il a dit que Moscovici avait
« un comportement de quelqu’un qui ne pense plus en français, qui pense
dans la langue de la finance internationale », comme le prouve la bande-son
de l’entretien diffusé sur le site de l’hebdomadaire Politis. Ce qui n’est pas
exactement la même chose. Si j’avais connu la teneur exacte de ses propos, je
n’aurais pas fait de tweet, tout simplement parce que démonter qu’il s’agit
bien d’un appel à la haine contre Moscovici exige bien plus de 140 signes.
C’est pour cela que j’ai présenté mes excuses dimanche soir : critiquer
quelqu’un sur des propos tronqués n’est tout simplement pas de bonne méthode
journalistique. Pour ma défense, je dirais qu’il est très rare que l’AFP se
plante. Et qu’on ne me dise pas que je n’avais qu’à vérifier : je ne vais pas
à vérifier chaque propos que tient une personnalité politique (surtout qu’en
l’occurrence Mélenchon a toujours refusé de me parler).
Mais, sur le fond, je pense que cela ne change rien. Posez-vous
la question : pourquoi deux journalistes professionnels (celui de l’AFP et
du Figaro (1)) ont-ils entendu la même chose ? De même, pourquoi Mélenchon,
qui s’est défendu de l’accusation d’antisémitisme à la tribune, n’a-t-il pas
nié les propos que lui prêtait l’agence de presse ? Tout simplement parce
qu’ils s’inscrivaient dans un contexte et que Mélenchon a bien voulu dire ce
que les deux journalistes ont entendu. En effet, quelques instants avant qu’il
s’entretienne avec les journalistes, François Delapierre, secrétaire national
du PG, dénonçait à la tribune les « 17
salopards de l’Europe » (les ministres des Finances de
l’Eurogroupe) : « dans ces 17 salopards, il y a un Français, il a un
nom, il une adresse, il s’appelle Pierre Moscovici et il est membre du
PS ». Pourquoi souligner « un nom » ? Aurait-il une consonance
pas vraiment de chez nous ? Pourquoi indiquer « une
adresse » ? Faut-il comprendre que ce nom révèle quelque chose ?
Faut-il comprendre qu’il exhorte ses militants à aller bastonner le ministre ?
À partir de là, tout s’enchaine. Une telle violence explique
sans doute la confusion qui a entouré la retranscription des propos de
Mélenchon. Car, même adoucis, ils restent scandaleux : il ne pense
plus « en français » ou « en Français » ? Il
« pense dans la langue de la finance internationale » ou il pense
« finance internationale » cet homme qui a un « nom » et
une « adresse » ? Mélenchon, qui n’hésite pas à prendre les gens
pour des idiots, se défendra en disant qu’il « ignorait quelle était la
religion de Pierre Moscovici »… Autrement dit, les propos de Delapierre,
vivement approuvés par le président du PG, et ceux de Mélenchon forment un tout
qui doit être interprété comme tel : on est bien dans le registre de
l’insinuation crapoteuse, celle qui laisse entendre que certains ministres qui
nous gouvernent ne sont pas la France éternelle, celle qui pense dans la langue
de Molière et qui ne peut donc qu’être d’accord avec Mélenchon. Mais ce n’est
pas en un tweet que l’on peut expliquer un tel dérapage contrôlé.
Mélenchon est en train de rompre les amarres qui le rattachaient
à une démocratie apaisée, la nôtre, sous prétexte de répondre au désespoir
social. Sa brutalité, verbale pour l’instant, son refus d’accepter les normes
du débat démocratique qui implique un minimum de respect public, ne peut
qu’ensauvager la vie politique. Or, l’histoire a montré que la démocratie a
toujours été perdante lorsque les politiques encourageaient toutes les
transgressions. Et celui ou celle qui ramassera la mise ne sera sans doute pas
Mélenchon.
(1) Sophie de Ravinel, la journaliste du Figaro, me signale par twitter qu’elle est arrivée 20’ en retard et qu’elle a récupéré la déclaration auprès de ses confrères.
Photo: Reuters