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Blog «Les 400 culs»

Nymphes : les hommes préfèrent les longues

Alors qu’en Occident on tranche les petites lèvres au bistouri, dans certaines régions d’Afrique on les masse et on les frotte jusqu’à ce qu’elles aient pris la forme de deux longues ailes de chair flottantes… Aucune femme honnête au Rwanda n’oserait se présenter devant un homme sans avoir entre les cuisses des nymphes hypertrophiées, capables de l’envelopper chaudement. Moitement. Les petites lèvres sont l’apanage exclusif des femelles de l’espèce humaine. «Aucune autre femelle mammifère ne
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publié le 23 avril 2013 à 12h25
(mis à jour le 21 janvier 2015 à 16h13)

Alors qu’en Occident on tranche les petites lèvres au bistouri, dans certaines régions d’Afrique on les masse et on les frotte jusqu’à ce qu’elles aient pris la forme de deux longues ailes de chair flottantes… Aucune femme honnête au Rwanda n’oserait se présenter devant un homme sans avoir entre les cuisses des nymphes hypertrophiées, capables de l’envelopper chaudement. Moitement.

Les petites lèvres sont l'apanage exclusif des femelles de l'espèce humaine. «Aucune autre femelle mammifère ne s'orne de telles délicatesses», souligne leur défenseur Gérard Zwang, qui (dans son ouvrage Touche pas à mon sexe!) en dénombre trois sortes différentes: courtes, courantes et aliformes.

Les nymphes «courtes» mesurent de 15 à 20 mm de longueur. Le type courant mesure de 30 à 35 mm. Le type aliforme, le plus développé, en ailes de papillon, atteint 4 cm et plus. Bien qu’il les range dans des catégories, Gérard Zwang insiste sur l’extraordinaire variété morphologique de ces lamelles élastiques: chaque femme possède sa paire de nymphe, comme une marque de fabrique unique sur terre.

Mais voilà, les sociétés humaines sont faites de telle sorte que notre corps ne nous appartienne jamais tout à fait. Le rôle symbolique des organes sexuels est bien trop important pour qu’on laisse en l’état naturel nos pénis et nos vulves.

En Occident, depuis, quelques années, le sex-design fait des ravages et des centaines de femmes (parfois même des mineures accompagnées par leur mère) vont se faire taillader le sexe au bistouri… Mutilation génitale ? Mon dieu, non, protestent les chirurgiens, il s'agit juste de cosmétique. Et tant pis pour les nerfs délicats qui ourlent les petites lèvres… Tant pis pour ces sensations délicieuses de vent passant entre les jupes, d'haleine fraîche entre les cuisses ou de simple rayon de soleil chauffant jusqu'au bord de l'extase la crénelure de ces nymphes sensibles comme des antennes de papillon… En Occident, on les coupe, comme on couperait des oreilles de chat, en nommant cette boucherie «fashion».

Dans d'autres pays, c'est le contraire : il faut avoir des nymphes «enveloppantes» afin de pouvoir se marier. En Afrique du sud, la coutume de s'étirer les petites lèvres a pratiquement disparu, mais elle existait encore au 19e siècle : «Avec son tablier vulvaire pendant dans l'entrecuisse, la Vénus hottentote, que Cuvier avait étudiée et moulée en 1815 a été de son vivant montrée comme une bête de foire, raconte Gérard Zwang. Son moulage -je l'ai vu- a longtemps été exposé (jusqu'en 1976) au Musée de l'homme. Les restes de la malheureuse Saartjie ont fini par être rendus à sa famille. Ses nymphes dépassaient de douze bons centimètres hors de la fente vulvaire. Beau résultat de son assiduité à tirer dessus pendant son adolescence. Comme les autres femmes de sa contrée, elle était en possession de ces pendeloques qui, au cours de l'accouplement, enveloppaient tendrement le scrotum du monsieur introduit -une délicate gâterie, comme feraient deux gentilles mains tièdes».

Dans un article consacré à cette étrange pratique (publié dans la revue en ligne Genre, sexualité et société), l'ethnologue Michela Fusaschi raconte  sa découverte lors d'un long, très long séjour dans le Rwanda post génocide. Tout avait commencé par une erreur de prononciation. «Une gaffe de ma part en langue kinyarwanda au cours de la conversation avait été accueillie par un éclat de rire autour de notre table.» Michela avait prononcé le mot Gukuna. Prise à part par une amie rwandaise, elle apprend que ces choses-là ne se disent qu'entre femmes, d'un air complice. Clin d'oeil, suivi plus tard d'explications. Michela apprend que les parties génitales de ses interlocutrices sont «longues et douces, grâce au gukuna, un rituel traditionnel d'étirement des petites lèvres. Associé au kunyaza, une technique sexuelle masculine, le gukuna est destiné à augmenter le plaisir sexuel féminin».

«À la différence d'autres contextes africains, où les organes génitaux sont coupés, comme dans le cas de l'excision, au Rwanda au contraire, les lèvres du vagin sont perçues comme un vêtement ou comme des rideaux», explique Michela pour qui les longues nymphes -comme deux voiles flottants, très mobiles-, jouent le même rôle qu'un cache-sexe : il s'agit de rester pudique. Mais cette pudeur, paradoxalement, implique l'idée qu'il faut devenir une femme une vraie, c'est-à-dire capable de jouir et de mouiller abondamment… Au Rwanda, «les organes génitaux féminins qui sont «nus naturellement», sont considérés comme inacceptables» (1), ajoute Michela qui précise : «Au moment du mariage, la femme doit se présenter à son mari et à son patrilignage avec un corps conforme, c'est-à-dire vierge et avec les petites lèvres allongées. (…) Quand le sexe d'une femme n'est pas jugé conforme, la mariée est renvoyée à sa famille avec un récipient vide qui témoigne de l'«insuffisance» de son corps».

5 cm de longueur, pas plus, pas moins

Celle qui n'a pas les nymphes requises (5 cm de longueur, pas plus, pas moins) peut donc se rhabiller. On la juge immature. Elle n'a pas fait son travail. Elle n'est pas apte au sexe ni à la procréation. «Avant la colonisation et l'évangélisation, le gukuna était une étape obligatoire pour toutes les filles afin de devenir une femme. (…) Selon presque toutes mes interlocutrices, cette étape commence entre dix et onze ans, toujours avant les premières règles, et se poursuit jusqu'à l'adolescence. En général, l'âge approprié pour commencer l'opération correspond à peu près à l'époque où les filles sont capables de suivre leurs sœurs plus âgées dans la collecte de l'eau, du bois ou pour couper les herbes. Aujourd'hui encore, le gukuna se pratique en groupe de quatre à dix jeunes filles. Pour cette opération, elles recherchent un emplacement isolé et ombragé (le gukuna ne se pratiquant jamais au soleil). L'urubohero (du verbe kubóha, tresser) est considéré comme l'endroit des filles et des femmes et où elles apprennent la méthode du massage rituel mutuel par couple et où elles apprennent à tresser les nattes et le balai.

(…) Positionnées l'une en face de l'autre, elles se déshabillent en faisant tomber sur le sol, toutes en même temps, le pagne qu'elles portent comme jupe. Cette opération, expliquent-elles, sert à éviter la pudeur et à éloigner les pouvoirs négatifs. Une fois nues, elles prennent place, assises par deux, l'une en face de l'autre, avec les jambes légèrement fléchies et croisées. (…) Les jeunes filles se lancent alors dans un massage mutuel très énergique, en utilisant des beurres. C'est ainsi, et pendant plusieurs années, qu'elles apprennent, par imitation, la technique du gukuna qui consiste à étirer peu à peu, mais avec force et régularité, les petites lèvres du vagin.

(…) Le gukuna conditionne la sexualité rwandaise. Elle repose en effet sur une série d'actes codifiés : les deux partenaires sont assis l'un en face de l'autre avec les jambes croisées les unes entre les autres (dans la même position que pendant le gukuna). Cette position croisée des partenaires permet à l'homme de réaliser le kunyaza, qui consiste en une technique particulière de stimulation du clitoris (l'homme tapote le clitoris avec son pénis). D'après les interlocutrices, le kunyaza permet aux femmes de «faire beaucoup d'eau» (amazi). Si une femme n'en produit pas assez, ou pas du tout, elle est appelée igihama, du verbe guhaama, cultiver un champ durci par le soleil.

(…) Le kunyaza permet à la femme d'atteindre un degré d'excitation élevé et c'est seulement quand elle est sur le point d'avoir un orgasme qu'elle se couche sur le dos et que le rapport continue avec pénétration. Le verbe utilisé à propos de l'excitation féminine est kunyaàra, qui signifie «produire d'abondantes sécrétions vaginales pendant le coït», ce qui est socialement valorisé. Dans les paroles de mes informatrices, c'est l'alliance du kunyaza (technique masculine), et du gukuna (technique féminine de préparation du corps), qui leur permet d'«arriver à destination», kuraanziga (l'orgasme).

Cette capacité à produire des sécrétions vaginales pendant l'acte sexuel semble avoir été moins valorisée en lien avec le plaisir qu'avec la procréation. Selon la tradition, si une femme n'arrive pas à avoir des sécrétions copieuses, on la considérera comme une mauvaise mère et on la comparera à des éléments de la nature qui ne peuvent pas se reproduire. On dit dans ce cas-là que les filles sont des mukagatare, et les fils des gatare, des pierres plates et larges, à savoir les symboles d'une maternité impénétrable, sèche et dure comme les roches, qui ne sont pas fertiles. Une femme est considérée comme fertile si elle échange ses fluides avec son mari, exactement comme la terre baignée par la pluie. Elle devrait fournir au patrilignage des enfants que la société espère de sexe masculin pour assurer la transmission du bien le plus précieux : la terre ».

Pour en savoir plus sur Gérard Zwang et sur la nymphoplastie : Portraits de lèvres, Bienvenue dans l'ère du fashion de vulve.

Illustration : le fabuleux John Howard, auteur de la série hardcore mythique Horny Biker Slut (1991), traduite en Français et publiée chez Dynamite (collection outrage).