
Le gouvernement d’Angela Merkel n’a pas l’intention de compliquer la tâche de François Hollande. Il soutiendra sans barguigner la proposition de la Commission d’accorder deux ans de plus à la France pour ramener son déficit sous les 3 % du PIB. De hauts responsables allemands ont même confié à Libération croiser les doigts pour que le chef de l’État réussisse à redresser rapidement l’économie française. Car contrairement à l’Espagne, la France est un trop gros morceau pour être aidée par ses partenaires européens. A Berlin, on estime qu’elle devra se sortir de sa difficile situation économique seule et par ses propres forces, faute de quoi elle entraînera par le fond l’ensemble de la zone euro.
À la veille de la conférence de presse de François Hollande, le
message allemand est simple : les réformes structurelles (coût du
travail, temps de travail, retraites, formation) doivent être
poursuivies et amplifiées en France, car la survie de l’Europe en
dépend. Et si pour faire passer ces réformes forcément douloureuses,
Hollande doit faire porter le chapeau à Angela Merkel, Berlin, bon
prince, est prêt à l’accepter. Comme le fait remarquer un responsable
allemand, il est plus facile de vivre en accusant une force extérieure
des difficultés que l’on affronte. Mais, souligne-t-on dans l’entourage
de Merkel, cela ne changera rien à la réalité : l’Europe n’est pas une
île et elle doit retrouver sa compétitivité pour peser dans le concert
mondial.
Pour Berlin, la
germanophobie qui se développe dans l’opinion des pays en difficulté
n’est qu’un mal temporaire : on est certain qu’elle sera oubliée dès le
retour de la croissance. On s’amuse des discours d’une partie de la
gauche et de la droite française sur le protectionnisme ou le retour à
l’État nation : que pèsera un pays de 67 ou 83 millions d’habitants dans
un monde peuplé de 7,5 milliards d’êtres humains?
Les dirigeants allemands rappellent que malgré les difficultés que
traverse l’Union, elle reste un continent extrêmement riche. Pour eux,
les sacrifices que devra faire la génération actuelle, comme travailler
plus vieux ou cinq heures de plus par semaine, sont nécessaires pour que
«nos enfants aient un avenir». Mais on récuse le mot d’«austérité» q ui n’existait pas jusqu’il y a deux ans dans le vocabulaire allemand, où l’on parle de «consolidation budgétaire». Le malentendu sur les politiques à mener viendrait de la voie «facile»
choisie par les pays en difficulté, qui ont préféré augmenter les
impôts au risque de tuer la croissance plutôt que de libéraliser
l’économie ou couper dans les dépenses publiques. Berlin dénonce en
particulier les hausses de TVA, l’impôt le plus injuste pour les plus
pauvres.
Outre-Rhin, on espère que la France pourra vite retrouver son rang en
Europe. Car l’Allemagne n’a ni les moyens ni l’intention de tenir seule
la barre du vaisseau euro. Elle nie toute volonté de diriger l’Union :
pour elle, il s’agit d’une aventure collective et c’est pour cela
qu’elle a tout fait pour sauver l’euro, acceptant une solidarité
financière qu’elle avait toujours récusée. Par exemple en soutenant
l’annonce, en juillet dernier, par la Banque centrale européenne, de
racheter sans limites la dette publique des pays attaqués, ce qui a
instantanément calmé les marchés. Au passage, plusieurs responsables
allemands se félicitent de l’étude du Pew Research Center qui montre que les Allemands sont prêts à davantage de
solidarité financière (bien plus que les Français), ce qui lui ouvre des
marges de manœuvre.
Berlin estime qu’il
faut profiter du calme actuel pour préparer l’avenir de la zone euro.
Sur l’union bancaire, les deux rives du Rhin sont quasiment d’accord sur
les prochaines étapes et devraient l’annoncer en juin : harmonisation
des mécanismes de résolution des crises bancaires, autorisation de
recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de
stabilité, création d’une autorité européenne de résolution des crises
bancaires.
Mais sur ce dernier point, François Hollande refuse, par peur de sa
majorité, une modification des traités européens que la chancelière juge
juridiquement nécessaire. Celle-ci souhaite même qu’elle soit la plus
large possible afin de démocratiser le fonctionnement de la zone euro,
condition sine qua non pour que les citoyens acceptent les
réformes. À Berlin, on a en travers de la gorge les ratés de la crise
chypriote, où personne n’a osé assumer publiquement le premier plan de
sauvetage taxant l’ensemble des dépôts bancaires. «Nous avons peu de temps pour dire où nous souhaitons aller», prévient-on à Berlin. Hollande osera-t-il assumer le choix de l’Europe ?
N.B.: Article publié aujourd’hui dans Libération et envoyé de Berlin où je me trouve.
Photos: Reuters