
Cet échec envoie une nouvelle fois au reste du monde l’image d’une Union divisée sur un sujet majeur et ce, à la veille du G8 de juin qui sera justement consacré à cette lutte contre la fraude fiscale. Les sommes en jeu sont loin d’être insignifiantes : on estime le manque à gagner des Vingt-Sept à 1 000 milliards d’euros par an, de 60 à 80 milliards pour la France. De quoi effacer tous les déficits publics. «Quand il y a des déficits à résorber, de la recette fiscale à trouver, plutôt que d’augmenter les taxes, les taux, les impôts, les prélèvements, mieux vaut aller chercher la matière imposable là où elle se cache aujourd’hui», a martelé François Hollande. Or, les caches sont nombreuses, à l’extérieur de l’Union, mais également en son sein puisque certains pays continuent de refuser d’abroger le secret bancaire pour les non-résidents.
C’est une directive de 2003 qui a constitué le tournant. Elle prévoit que, pour les revenus de certains produits d’épargne, les Etats ont le choix entre l’échange automatique d’informations ou le prélèvement à la source (35% reversés aux Etats d’origine). Aujourd’hui, seuls l’Autriche et le Luxembourg utilisent encore ce dernier système, tous les autres ayant opté pour la fin du secret bancaire. Mieux : Juncker a promis, le 10 avril, de se rallier à l’échange automatique d’informations au 1er janvier 2015, à la suite de «l’Offshore Leaks», Vienne hésitant encore.
Mais les Vingt-Sept se sont également affrontés hier sur un autre texte. La Commission a, en effet, proposé, dès 2008, d’étendre la transparence à une série de placements à l’étranger qui y échappaient comme l’assurance-vie ou les trusts. Une directive bloquée depuis par l’Autriche et le Luxembourg puisque les décisions de l’Union en matière fiscale nécessitent un vote à l’unanimité. Le 14 mai, leurs partenaires ont essayé de passer en force, en vain : les deux pays ont exigé des accords équivalents avec la Suisse et quatre micro-Etats européens aux maxi coffres-forts. «Pour être honnête, ni l’Autriche ni le Luxembourg n’ont accepté la fin du secret bancaire, a reconnu le chef de l’Etat français. Mais ils ont accepté un rendez-vous à la fin de l’année.» Ce qui n’engage à rien. D’autant que Juncker ne veut pas tomber seul au champ d’honneur : il veut être certain que Londres a bien mis fin, comme il l’affirme, à ses paradis fiscaux situés dans ses territoires dépendants, Jersey, Guernesey et consorts.
Le Luxembourgeois se montreplus accommodant avec les Etats-Unis. Il a annoncé mardi qu’il était prêt à conclure un accord d’échange d’informations avec Washington sur les comptes et avoirs de ses ressortissants placés dans le Grand-Duché. Il faut dire que les Américains ont en leur possession une arme nucléaire, le «Foreign Account Tax Compliance Act» (Fatca) qui leur permettra, à compter du 1er janvier, de sanctionner durement (via une surtaxe de 30% sur leurs activités locales) les banques présentes sur leur territoire qui ne déclareraient pas les avoirs détenus à l’étranger par des citoyens américains. Juncker ne pourra donc pas continuer de refuser aux Européens ce qu’il compte accorder aux Américains. Autant dire que c’est grâce aux Etats-Unis que le secret bancaire européen est en passe d’avoir vécu, ce qui rend d’autant plus pathétique la résistance austro-luxembourgeoise.
Même si la proposition de directive de 2008 est finalement adoptée, les Européens ne seront pas au bout de leur peine : beaucoup de placements bénéficient encore du secret bancaire et, surtout, les entreprises échappent à cette transparence qui ne s’appliquera qu’aux particuliers. Les Vingt-Sept n’ont rien décidé de concret contre «l’optimisation fiscale» qui permet à Amazon ou Google d’échapper à l’impôt en jouant sur l’absence de coordination au sein de l’Union. Le bilan carbone de ce sommet pèse sans doute plus lourd que ses résultats.
Photo: Reuters
N.B.: article paru aujourd’hui dans Libération