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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Hongrie: Viktor Orban dénonce l'UERSS

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« Est-ce l’ancienne Moscou ou la nouvelle Bruxelles » ? Viktor Orban, le premier ministre hongrois, venu défendre, pour la seconde fois en trois ans, son gouvernement devant le Parlement européen, n’a pas fait dans le détail en comparant l’Union à la défunte URSS : « je sais ce que c’est d’être un citoyen de seconde zone, de ne pas décider de son destin, de voir l’indépendance nationale foulée aux pieds » a-t-il lancé aux eurodéputés réunis en session plénière à Strasbourg, en appelant, so
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publié le 4 juillet 2013 à 19h00
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h09)
Hungary-medias-law« Est-ce l’ancienne Moscou ou la nouvelle Bruxelles » ? Viktor Orban, le premier ministre hongrois, venu défendre, pour la seconde fois en trois ans, son gouvernement devant le Parlement européen, n’a pas fait dans le détail en comparant l’Union à la défunte URSS : « je sais ce que c’est d’être un citoyen de seconde zone, de ne pas décider de son destin, de voir l’indépendance nationale foulée aux pieds » a-t-il lancé aux eurodéputés réunis en session plénière à Strasbourg, en appelant, sous les applaudissements de la droite (PPE), à « lutter contre ceux qui veulent transformer cette Europe en Empire ». Pour Orban, le Parlement européen se rend coupable d’un « abus de pouvoir » en plaçant son pays sous « tutelle » européenne pour le contraindre à restaurer un État de droit qu’il est accusé de malmener.
Une majorité d’eurodéputés estime, en effet, qu’Orban met en place une « démocrature », selon le mot de Guy Verhofstadt, le président du groupe libéral, contraction des mots « démocratie » et « dictature ». Ils ne sont pas les seuls à le penser, la Commission et le Conseil de l’Europe étant sur la même longueur d’onde. Le rapport rédigé par l’écologiste portugais Rui Tavares sur « la situation en matière de droits fondamentaux » en Hongrie est accablant pour l’homme fort de Budapest. Fort de sa majorité des deux tiers au Parlement hongrois (obtenue en 2010 avec 52 % des voix), Orban a entrepris de remodeler de fond en comble, et à la hussarde, l’ordre constitutionnel (douze réformes de la Constitution précédente et déjà quatre réformes de la nouvelle Loi fondamentale adoptée le 18 avril 2011 en 35 jours) sans aucune concertation avec l’opposition.
Les réformes adoptées par le Fidesz, le parti d’Orban, vont toutes dans le même sens, selon Tavares : « une concentration du pouvoir entre les mains de l’exécutif ». La justice, les médias, le Parlement, la Banque centrale sont désormais, à des degrés divers, placés sous le contrôle du gouvernement. Pour rendre difficile, voire impossible, tout changement futur, Orban n’a pas hésité à constitutionnaliser un maximum de lois (y compris pour briser des arrêts de la Cour constitutionnelle) et a prévu que 35 domaines relèveraient à l’avenir de « lois cardinales », c’est-à-dire de textes devant être adoptés à la majorité des deux tiers. Autant dire qu’il préempte l’avenir du pays en limitant les changements possibles… « La question est de savoir de quelle façon on gouverne quand on la majorité des deux tiers et la marge de manoeuvre qu’on laisse à un futur gouvernement qui ne disposera sans doute pas d’une telle majorité », a expliqué Frank Engel, un député conservateur luxembourgeois. « La démocratie ce n’est pas la dictature d’une majorité », a résumé Guy Verhofstadt.
EdHungary-Threatened-De_SilvLe problème, pour l’Union, est qu’elle ne dispose guère de moyens pour contraindre un État membre à respecter l’État de droit. Tant qu’un pays n’a pas adhéré, elle peut exiger qu’il remplisse les « critères de Copenhague » qui définissent ce qu’est une démocratie fonctionnelle. En revanche, une fois membre, il n’existe plus que « l’arme nucléaire » de l’article 7 du traité sur l’Union qui permet de suspendre les droits d’un État qui violerait de manière « grave et persistante » les « valeurs » européennes. C’est ce qu’on appelle le « dilemme de Copenhague ». Cela rappelle exactement ce qui s’est passé pour la monnaie unique : des critères de qualification exigeants, peu de contraintes ensuite, ce qui a amené la crise de la zone euro. C’est d’ailleurs pour cette raison que les États ont renforcé, depuis 2010, la surveillance économique et budgétaire des États afin de les contraindre à respecter la discipline commune. Le Parlement européen propose de faire la même chose dans le domaine de la démocratie : l’Union, ce n’est pas seulement une « union de démocraties », mais une « union de Démocratie », souligne Rui Tavares dans son rapport.
En attendant que les États membres créent un « mécanisme de surveillance des valeurs de l’Union » assorti de sanctions qu’il appelle de ses voeux, le Parlement a décidé, par 370 voix (socialistes, libéraux, écologistes, communistes) contre 249 (conservateurs et extrême droite) et 82 abstentions (une partie des conservateurs), de créer une instance ad hoc composée de représentants du Conseil des ministres, de la Commission et du Parlement européen afin de s’assurer que la Hongrie met en œuvre une trentaine de réformes listées dans le rapport de Rui Tavares (de la réforme de la Constitution à l’indépendance des juges et des médias en passant par la loi électorale ou la protection des minorités)… Orban n’a pas molli: « nous n’acceptons pas les leçons de démocratie que vous prétendez nous donner ». Le bras de fer est loin d’être terminé.
N.B.: article (version longue) de mon article paru dans Libération d’aujourd’hui