
Michel Barnier s’assiérait bien dans le fauteuil de José Manuel Durao Barroso en novembre prochain. Il n’en fait guère mystère. « J’ai quelques idées sur ce qu’il faudrait faire pour remettre l’Union sur les rails », glisse à ses visiteurs, l’air gourmand, le commissaire français au marché intérieur. Deux fois commissaire européen, ministre délégué aux affaires européennes puis ministre des affaires étrangères, négociateur du traité d’Amsterdam (la politique étrangère européenne, c’est lui), Michel Barnier connaît les arcanes communautaires sur le bout des doigts et il sait mieux que personne que le chemin pour parvenir au poste de président de la Commission est semé d’embuches.
Le premier obstacle n’est pas le plus compliqué, même s’il
devra affronter un minimum de concurrence (on parle beaucoup de la
Luxembourgeoise Viviane Reding, membre de la Commission depuis 1999) : celui qui
est aussi vice-président du Parti populaire européen (PPE, conservateur) devra obtenir
l’investiture de son parti comme tête de liste, en mars 2014. Second obstacle,
il faut que le PPE gagne les élections européennes de mai 2014, ce qui ne fait
pas vraiment de doute, les socialistes n’étant guère en mesure, à l’heure actuelle,
de lui ravir la première place. Le dernier obstacle est sans aucun doute le
plus périlleux : le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement
devra l’élire, en juin, à la majorité qualifiée avant que le Parlement de
Strasbourg ne ratifie sa désignation, à la majorité simple, le mois suivant.
Le problème est que plusieurs gouvernements n’ont aucune
envie de se voir privés de leur pouvoir de nommer le président de la Commission
au profit des partis politiques. Il est vrai que les traités ne prévoient
nullement que le Conseil européen nomme la tête de liste du parti arrivé en
tête : ils disposent simplement que les États « devront tenir compte
du résultat des élections européennes » avant de désigner, à la majorité
qualifiée, le chef de l’exécutif. En clair, si le PPE gagne en 2014, ils seront
simplement tenus de nommer une personnalité issue de ce parti, rien d’autre.
En 2009, il n’y a pas véritablement eu de débat sur le sujet
puisque Barroso était à la fois le candidat du PPE, le parti arrivé en tête, et
celui de la grande majorité des États. En outre, les socialistes du PSE ont été
incapables de se mettre d’accord sur une tête de liste (Tony Blair Gordon Brown et José Luis
Zapatero, deux socialistes, soutenant Barroso), ce qui a tué dans l’œuf toute
personnalisation des élections… Mais, à la faveur de la crise de la zone euro
et des critiques de plus en plus virulentes contre un déficit démocratique grandissant,
les partis européens ont décidé, cette fois-ci, de ne pas se laisser faire par les
« chefs » : lors d’une réunion organisée par Wilfried Martens, le
président du PPE, fin 2011, ils se sont engagés formellement à désigner chacun
une tête de liste et à refuser la nomination d’une personnalité autre que celle
du vainqueur. Le processus est, aujourd’hui, bien lancé : tous les partis
européens (PPE, PSE, Libéraux, Verts et sans doute le parti de la gauche
européenne) vont choisir un candidat à la présidence de la Commission au
premier trimestre prochain. Un casting possible met l’eau à la bouche : outre
Michel Barnier, le socialiste allemand Martin Schulz, le libéral belge Guy
Verhofstadt, le vert français José Bové… Voilà qui donnerait du nerf à la
campagne qui s’annonce.

Mais Berlin a travaillé au corps Paris et François Hollande
commence à hésiter. En effet, si Michel Barnier est désigné comme tête de liste
et que le PPE gagne les Européennes comme c’est probable, le chef de l’État
devra renoncer à envoyer un socialiste à Bruxelles, chaque pays n’ayant droit
qu’à un membre au sein de l’exécutif européen. Même si certains, dans la
capitale européenne, font ironiquement remarquer que Barnier est plus à gauche
que beaucoup de socialistes, comme le montre l’ensemble des textes réglementant
les marchés financiers qu’il a fait adopter depuis quatre ans, il n’empêche
qu’un président socialiste devra soutenir un membre de l’UMP… Angela Merkel
serait confrontée au même dilemme si les socialistes gagnaient les élections.
La partie de bras de fer entre les gouvernements et les
partis politiques européens s’annonce incertaine. Une chose est sûre : si ces
derniers capitulent, il sera de plus en plus difficile de mobiliser les
citoyens en leur promettant davantage de démocratie, mais toujours pour plus
tard… Un Parlement européen dominé par les eurosceptiques deviendra possible
grâce à la démobilisation qui s’ensuivra.
Photo: Reuters
N.B.: chronique parue dans le numéro 468 de l’Hémicycle