
Alors que débute
aujourd’hui le parcours parlementaire du budget 2014 de la France, avec
son examen en commission des finances de l’Assemblée, le gouvernement et
les députés français, mais c’est aussi vrai des dix-sept (dix-huit en janvier)
pays de la zone euro, vont devoir s’habituer à préparer le budget de la nation sous
le regard tatillon de la Commission, de l’Eurogroupe (les ministres des Finances
de la zone euro) et du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement qui
pourront même leur demander de revoir leur copie si elle n’est pas en ligne
avec la politique décidée en commun. Le gouvernement économique, tant réclamé
par la France pour donner un pendant à la toute puissante Banque centrale
européenne, existe désormais. Les gouvernements et Parlements vont pouvoir toucher
du doigt les limites de leur souveraineté budgétaire.
- Pourquoi le « two pack » ?
Il s’agit du troisième élément renforçant la coordination
des politiques économiques et budgétaires, après le « six pack »
(cinq règlements et une directive) réformant le Pacte de stabilité, entré en
vigueur en décembre 2011, et le Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance (TSCG), qui s’applique depuis janvier 2013. Alors que les marchés
financiers fuyaient la zone euro, terrifiés par l’inconséquence des États qui
avaient laissé filer déficit et dette et diverger leur politique économique,
les gouvernements ont voulu les assurer que cela ne se reproduirait plus. En
clair, qu’une nouvelle Grèce serait impossible, car, cette fois, on ne
laisserait plus un État ayant l’euro en partage faire n’importe quoi.
La zone euro, pour survivre, n’avait absolument pas le
choix. Il faut se rappeler qu’en 2010-2011, la panique était à son comble. Les
docteurs « Doom » (catastrophe), de Nouriel Roubini à Emmanuel Todd
en passant par Jacques Sapir, se réjouissaient de voir leur prédiction en passe
de se réaliser : la fin de l’euro, c’était pour très bientôt, au printemps
2012 au plus tard. L’agence de notation Fitch affirmait même, en décembre 2011,
qu’une « solution
globale à la crise de la zone euro est techniquement et politiquement hors de
portée ». Face aux coups de boutoir des marchés, la zone euro a
donc petit à petit créé un vrai gouvernement économique : d’abord en
renforçant le Pacte de stabilité visant à éviter puis à punir par des sanctions
financières les déficits de plus de 3 % du PIB et les dettes supérieures à 60 %
du PIB (le six pack), puis en gravant ces règles dans le marbre d’un traité
modifiable seulement à l’unanimité (le TSCG) et, enfin, en organisant une vraie
contrainte sur la préparation et l’adoption des budgets nationaux, c’est-à-dire
en intervenant très en amont des dérives (le two pack).
- Que change le « two pack » ?

Avec les nouvelles règles, les États devront transmettre à
la Commission, avant le 15 octobre, leur projet de budget pour l’année suivante.
Celle-ci rendra son avis le 15 novembre au plus tard, avis qui sera transmis
aux ministres des Finances et aux « chefs » pour adoption.
Normalement, si l’organisme indépendant chargé de veiller au respect des règles
budgétaires créé par chaque pays, toujours en application du « two
pack », a bien fait son boulot, l’exécutif européen n’aura pas grand-chose
à dire. Mais, si en dépit de l’avis de cet organisme (le Haut conseil des
finances publiques en France, présidé par Didier Migaud), le projet de budget
s’écarte des engagements pris en commun, la Commission pourra demander des
modifications. Mais le dernier mot reviendra aux parlements nationaux dument avertis
des risques de sanctions qu’ils courent si leur pays ne respecte pas ses
engagements.
Pour les pays sous procédure de déficit excessif (au-delà de
3 %), ce qui est le cas de la France, ils devront en plus s’engager sur un
« programme de partenariat économique » expliquant les réformes
structurelles qu’ils vont adopter afin de revenir dans les clous et relancer
leur économie. Son application sera surveillée mois après mois par la
Commission, le dernier mot revenant toujours aux ministres des Finances et au
Conseil européen. En échange, des lignes de crédits européennes pourront être
débloquées.
Enfin, les pays dont la stabilité financière est menacée,
déficit excessif ou non, pourront être placé sous « surveillance
renforcée » par l’Eurogroupe (à la majorité qualifiée), ce qui donnera à
la Commission des pouvoirs de contrôle sur place afin d’identifier les
problèmes. Ces pays pourront éventuellement être mis sous assistance financière
du MES en échange d’un programme d’ajustement ou, si l’on préfère, d’austérité.
- La zone euro va-t-elle contrôler la politique budgétaire de la France ?
Tout à fait. Mais ce sont la France et les autres Etats de
la zone euro qui ont décidé de renforcer ce contrôle. Surtout, la zone euro
n’est rien d’autre que la somme des États qui le composent : ce sont eux
qui gardent toujours le dernier mot, la Commission n’étant que leur bras armé
ou leur secrétariat exécutif. Ce simple constat n’empêche pas les
souverainistes de hurler à la confiscation de souveraineté. Mais ils oublient un
peu vite qu’une monnaie unique impose de respecter une discipline commune. Et
ce, d’autant plus que la solidarité financière entre pays riches et pauvres est
extrêmement limitée : si l’on met à part le petit budget européen (1 % du
PIB européen), elle n’existe même que depuis 2010 avec la création du Mécanisme
européen de stabilité (MES, précédé par le FEFS), un instrument doté de 750
milliards d’euros de capacité d’emprunt.
Reste une question explosive, surtout à quelques mois des
élections européennes : qui contrôle la Commission, l’Eurogroupe et le Conseil
européen lorsqu’ils décident en commun des politiques économiques et
budgétaires à mener ? Aujourd’hui, personne. Si la zone euro à un
gouvernement, elle n’a toujours pas de parlement.
(1) Un règlement
s’applique directement. Une directive, qui fixe des objectifs, doit être
transposée par une loi nationale.
Photo: Reuters
N.B.: version longue de mon article paru ce matin dans Libération