Beaucoup de Français pensent que les mâles sont naturellement infidèles (volonté de répandre ses gènes) et les femelles naturellement jalouses (volonté de s'attacher un protecteur). Dans un livre intitulé Pourquoi les animaux trichent, le biologiste Thierry Lodé réfute cette théorie. Ce n'est pas le souci de reproduction qui préside à nos amours, dit-il. L'infidélité n'obéit à aucune logique génétique.
A quoi sert l’infidélité ? Pour les tenants de l’évolutionnisme «rationnel», les histoires d’amour ne sont jamais que des histoires de mâles adultères, cherchant à répandre leur semence dans toutes les femelles en âge de procréer, afin de perpétuer leur lignée. «
En accroissant le nombre de leurs partenaires, ces messieurs agrandissent mathématiquement leur descendance,
affirment les défenseurs de la théorie néo-darwiniste (1), qui en veulent pour preuve l’étonnante obsession des Don Juan («mille et trois»).
Au contraire, les femelles se préoccupent d’abord de la qualité du géniteur.
» Pour
[ Thierry Lodé ]
, spécialiste de la sexualité des animaux, Professeur en écologie évolutive et auteur d’un livre récemment publié aux éditions Odile Jacob (
[ Pourquoi les animaux trichent ]
), l’idée selon laquelle les animaux et les humains seraient guidés, de façon inconsciente, par une pulsion les poussant à perpétuer l’espèce ne résiste pas à l’épreuve de la science. Il n’y a pas de de stratégie évolutive cachée derrière nos comportements sexuels. «
La vie n’a aucune fin, aucun but, pas même celui de diffuser des gènes à une éternité chimérique
».
Les arguments de Thierry Lodé sont passionnants. Il s'appuie sur d'innombrables exemples d'oiseaux, de mammifères, de reptiles ou d'insectes dont les comportements reproducteurs s'avèrent non seulement anarchiques, mais contre-productifs, voire pire : suicidaires. Certains d'entre eux semblent obéir à un instinct qui, loin d'optimiser leurs chances de survie, les précipitent au contraire tout droit dans la catégorie des «animaux en voie de disparition». Si les rhinocéros noirs Diceros bicornis longipes (2) ont disparu de notre planète, ce n'est pas uniquement parce qu'ils étaient chassés pour leur corne, dit-il. C'est aussi parce que les femelles étaient à ce point indifférentes que lorsqu'au bout de plusieurs jours d'une parade épuisante le mâle pouvait enfin les monter il n'avait plus d'érection suffisante. Ces femelles aux refus répétés, qui n'acceptaient la monte que tous les trois-quatre ans, ont donc précipité l'espèce dans le néant.
«L'évolution pourrait bien se développer autrement» que suivant la logique d'un pur souci de reproduction conclut Thierry Lodé. Dès que les chercheurs soumettent les animaux à l'épreuve d'une recherche portant sur la «transmission des gènes», les résultats s'avèrent toujours aléatoires. Impossible d'en tirer aucune théorie soutenant l'existence d'un dessein dissimulé dans la trame des coïts bestiaux : il n'y a pas de bénéfice évolutif. Il n'y a que des unions et désunions anarchiques, qui ne débouchent sur aucun avantage, que ce soit en terme de fécondité accrue, de gratification matérielle ou d'amélioration génétique. Rien. «La construction théorique du néodarwinisme rencontre maintenant ses limites, conclut Thierry Lodé. L'ensemble des découvertes récentes démontre qu'il apparaît définitivement nécessaire d'ouvrir de nouvelles portes.» Pour ouvrir ces portes, encore faut-il avoir les mains libres. C'est pourquoi Thierry Lodé consacre à la théorie de Darwin plusieurs paragraphes éclairants qui nous forcent à revoir ce que nous tenions pour des vérités…
Tout d'abord, Darwin n'est pas un révolutionnaire. Avant lui, le Français Lamarck (1744-1829) avait déjà mis au point les fondements de la biologie évolutive et classé des milliers d'espèces au terme d'un long travail. Mais ce travail, qui s'inscrit dans le contexte de la Révolution française, est resté dans l'ombre : trop radical pour l'époque. «La révolution de 1789 avait établi que les choses n'avaient rien d'immuable. Elles changeaient selon l'effort de chacun, et rien ne justifiait plus l'oppression des travailleurs par une noblesse autoproclamée. (…) Intimement confondu avec l'insurrection, l'athéisme ou la subversion de cette France insoumise, le «lamarckisme» n'a jamais eu bonne presse.»
Lorsque Darwin publie De l'origine des espèces, le contexte a changé : les mentalités sont prêtes à accepter l'idée d'une évolution des espèces… surtout si ces idées confortent le système nouveau qui se met en place. Ce système, en Angleterre, c'est le libre-échangisme brutal. Or la théorie de Darwin correspond parfaitement aux valeurs véhiculées par les bourgeois colonialistes de l'ère victorienne. Darwin, en effet, ne se contente pas de reprendre la thèse lamarckienne. Il la met au goût du jour en y rajoutant l'idée de la «loi du plus fort».
Pour Lamarck, l'évolution est dûe aux efforts des êtres vivants (3). Pour Darwin, «Les changements découlent d'une féroce lutte pour la vie. Plus les organismes se multiplient, plus s'aggrave leur compétition pour acquérir les ressources vitales, devenues de plus en plus rares. Les plus faibles sont inexorablement vaincus. Seuls les plus forts peuvent survivre, transmettant à leur lignée les caractères héréditaires de leur succès. Ainsi s'effectue la sélection naturelle.» Parce qu'il offre, sans le vouloir (?), une justification d'ordre scientifique à un système d'exploitation économique, le darwinisme connaît un succès considérable dont on mesure encore de nos jours la portée : pour beaucoup de personnes, en France, il semble non seulement normal mais légitime que les hommes se définissent comme des prédateurs sexuels : ce serait dans «notre nature».
Beaucoup de femmes pensent aussi que c'est à l'homme de faire le premier pas… et à elles de sélectionner le plus «rassurant» (musclé, velu, riche, possessif et viril) d'entre eux, parce qu'on n'efface pas «mille millénaires de comportement adaptatif en milieu hostile» (4) d'un seul trait de baguette magique. Mettant sur le compte d'une «mémoire reptilienne» ou d'un instinct de survie datant du pléistocène, l'idée que la division des rôles dans notre société est le résultat d'un long travail de sélection naturelle, ces gens érigent une théorie ultra-libérale, née dans l'Angleterre du 19e siècle, en vérité absolue et définitive.
Note 2/ « Le rhinocéros noir d'Afrique occidentale Diceros bicornis longipes s'est officiellement éteint en novembre 2011. Il ne reste plus aujourd'hui que trois sous-espèces de rhinocéros noirs». (Source : Pourquoi les animaux trichent, de Thierry Lodé, éd. Odile Jacob).
[ Pourquoi les animaux trichent ]
Note 4/ Un des principaux défenseurs du néo-darwinisme s'appelle Bateman. S'il faut en croire ce chercheur, «les mâles ne peuvent maximaliser leur succès reproducteur qu'en développant le nombre des partenaires. Pour obtenir ce bénéfice évolutif, ils se doivent donc de manipuler les femelles. De la sorte, l'hypothèse ordinaire de la sélection sexuelle inscrit le gradient de Bateman comme perspective immobile de l'évolution naturelle : les mâles chercheraient sans cesse l'occasion de multiplier les conquêtes amoureuses, les femelles se contenteraient de choisir le plus brillant des guerriers. Le néodarwinisme est sauf et il découlerait de ces désirs contradictoires la meilleure des reproductions possibles, nous affirme Pangloss. Mais voilà, sans être regardant, il faut bien convenir que les animaux réels sont moins disciplinés. Le conflit inévitable des sexes produit bien des perturbations que la théorie ne comprend pas». (Source : Pourquoi les animaux trichent, de Thierry Lodé, éd. Odile Jacob).