
Barnier n’a pas choisi le dossier OGM par hasard pour
manifester sa rupture avec le mode de gestion de l’ancien premier ministre
portugais. Il est, en effet, emblématique du fonctionnement de la Commission
Barroso qui est de tuer dans l’œuf tout débat politique en son sein. Ainsi, pour
autoriser toutes les importations et mises en culture d’organismes
transgéniques, Barroso se réfugiait derrière les avis positifs de l’Autorité européenne
pour la sécurité des aliments (AESA), arguant qu’il ne lui revenait pas
d’entrer dans une discussion « scientifique » (sauf manifestement
lorsqu’il s’agit d’essayer d’interdire l’Orphacol, un médicament orphelin),
alors même qu’il s’est débrouillé pour n’y nommer que des pro-OGM. Dès lors, il
n’y a pas de place pour une discussion et donc pour un vote. Résultat :
les propositions en matière d’OGM, mais c’est aussi vrai d’une grande majorité
de dossiers, sont préparées par la secrétaire générale de la Commission, l’Irlandaise
Catherine Day, une de ses proches, et approuvée au niveau des chefs de cabinet
des commissaires… Bref, l’art de technocratiser le politique.
Michel Barnier, ministre de l’Environnement entre 1993 et
1995, n’a jamais fait mystère de ses réserves à l’égard des OGM, notamment ceux
dits « pesticides » qui ont « un impact potentiel sur la
biodiversité », comme l’explique son entourage. Ce qui est le cas du
TC1507 qui produit un insecticide contre la pyrale du maïs. Or, la Commission
reconnaît elle-même ce danger, notamment pour les lépidoptères, en exigeant de Pionner
un « plan pour réduire les risques », plan que la société américaine
n’a toujours pas fourni. Elle demande aussi qu’une « bande refuge soit
plantée avec du maïs conventionnel tout autour du champ » de maïs OGM…
Rassurant.

Mais ça n’est pas le genre de la maison Barroso, celui-ci
étant farouchement pro-OGM (et plus généralement pro-tout ce qui provient des États-Unis…).
Ce serait, en effet, une erreur de croire que le futur retraité de la
Commission (son mandat s’arrête dans un an) souhaite que les Etats prennent
leur responsabilité. Car on est ici en matière de comitologie, ce qui donne des
pouvoirs importants à l’exécutif européen : il faut, ici, une majorité
qualifiée d’États (soit trois quarts des voix) contre sa proposition pour la
bloquer. Sinon, c’est elle qui prend la décision finale. Barroso espère en fait
qu’une autorisation de mise en culture permettra d’ouvrir la route à cinq
autres maïs et un soja transgénique, un cadeau de plus, après le lancement des
négociations d’un accord de libre-échange, fait à Washington… Car pour
l’instant, seuls deux OGM ont été autorisés à la culture dans l’UE : un
maïs, le MON810 de Monsanto, et la pomme de terre Amflora (BASF). Et 51 à
l’importation (49 pour l’alimentation animale et 2 variétés d’œillets).
On se demande donc, vu la sensibilité du dossier, pourquoi
il a fallu attendre novembre 2013 pour que les opposants aux OGM se réveillent
au sein de la Commission. Et ils ne sont pas nombreux, outre Michel Barnier,
seuls la Luxembourgeoise Viviane Reding, l’Autrichien Hahn, le Polonais
Lewandowski, et la Grecque Damanaki ont voté contre la mise en culture du TC1507…
La proximité d’élections européennes qui s’annoncent difficiles pour les pro-Européens
dans plusieurs pays, dont la France profondément opposée aux OGM, n’y est sans
doute pas étrangère. Pourquoi ajouter un nouveau grief à l’égard de l’Union
alors que la liste est déjà longue ?
Reste que le signal est important : Michel Barnier veut
montrer qu’il gouvernera autrement s’il décroche le pompon. Plus question de
dissimuler les désaccords idéologiques au risque de donner de l’Union une image
monolithique, fournissant ainsi un argument de campagne aux eurosceptiques qui
expliquent qu’il n’y a qu’une politique possible. « Avant, que ce soit
sous Romano Prodi, Jacques Santer ou Jacques Delors, on votait plusieurs fois
par semaine », raconte un haut fonctionnaire européen. « Avec Barroso,
les commissaires ne discutent jamais des dossiers des autres et tous les
compromis sont trouvés au niveau du secrétariat général et des chefs de
cabinet ». Barnier veut réintroduire le politique au sein de l’exécutif
qui est par nature divers, même si les conservateurs et les libéraux y sont
surreprésentés, reflet du rapport de force au sein de l’Union.
Photo: Reuters