
Or, c’est justement pour enlever des munitions aux europhobes de tout poil, qui comptaient bien réutiliser, après leur succès de 2005, le thème du « plombier polonais » venu concurrencer le brave travailleur local, que la réforme de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs a été votée in extremis par les États. Au grand soulagement du Parlement européen : « on a enlevé de l’essence aux nationalistes », se réjouit Élisabeth Morin-Chartier, députée UMP-PPE. En première analyse, une claire majorité semble soutenir le compromis conclu entre les États. « À mon avis, il ne manquera pas une voix du groupe socialiste pour soutenir cette réforme », affirme Berès : « même si elle est insuffisante, c’est déjà un premier pas ». Ce sera la même chose chez les Verts, selon Yannick Jadot. En revanche, le groupe dominant de l’Assemblée de Strasbourg, les conservateurs du PPE, devrait se diviser selon une logique non pas idéologique, mais nationale, reconnaît Élisabeth Morin-Chartier: en clair, les délégations nationales suivront le vote de leur gouvernement.
Côté libéral, ce sera encore plus complexe, comme souvent, les logiques nationales et idéologiques se superposant : par exemple, les libéraux-démocrates britanniques, plutôt régulateurs et favorables à la réforme, suivront, par solidarité gouvernementale, les conservateurs de David Cameron qui siègent dans un groupe eurosceptique… Tous les groupes europhobes et eurosceptiques devraient d’ailleurs voter par principe contre, mais ils ne pèsent rien à côté des deux mastodontes conservateurs et socialistes. Bref, l’issu du vote ne fait guère de doute : « on a mis le pied dans la porte de l’Europe sociale », explique Yannick Jadot, « on ne va pas le retirer parce que le texte ne va pas assez loin ».
« Mais ça ne veut pas dire qu’on ne se battra pas pour l’améliorer, mais on voit mal les États prêts à faire beaucoup mieux que ce qu’ils ont fait lundi », constate Berès. Elle espère obtenir une clause de rendez-vous afin d’étendre la responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre et des sous-traitants qui violeraient les normes sociales prévues par la directive de 1996 à d’autres secteurs que le BTP. Elle souhaite, avec une majorité d’eurodéputés de tout bord, que la Commission n’ait aucun pouvoir de s’opposer à ce qu’un État exige des documents supplémentaires des entreprises employant des travailleurs détachés : elle devrait centraliser la liste des documents exigés, rien de plus.
« Tout le monde se méfie de la Commission qui n’est plus considérée comme un acteur neutre », explique Berès. De fait, elle s’est longtemps fait tirer l’oreille, les problèmes sociaux n’ayant jamais été une priorité pour cet exécutif européen présidé par José Manuel Durao Barroso et dominé de la tête et des épaules par les libéraux et les conservateurs. Quelques abus, « largement dus à l’incapacité des États à contrôler ce qui se passe sur leur territoire », tient à souligner Élisabeth Morin-Chartier, et abondamment médiatisés, l’ont finalement convaincu de faire un geste. « En avril 2012, la Commission a mis sur la table une proposition visant à préciser l’application de la directive », rappelle Pervenche Berès, « et elle a été, à ma surprise, assez loin en proposant, notamment, une responsabilité conjointe et solidaire dans le domaine du BTP, là où a lieu la quasi-totalité des abus ». L’idée est en effet de rendre plus effectif les contrôles, pas de revenir sur la libre circulation : « la directive de 96 organise la protection des travailleurs et ce n’est pas parce que certaines entreprises la violent que cela rend ce texte obsolète », insiste Élisabeth Morin-Chartier qui rappelle, au passage, que si la France accueille 145.000 détachés, elle en envoie 175.000 dans les autres pays européens.
N.B.: Article publié dans Libération d’aujourd’hui. Fait à Strasbourg.