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Elections européennes : les libéraux tentés par le seppuku Rehn

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Le parti libéral européen (ADLE : Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ex-ELDR) pourrait bien choisir comme tête de liste pour les européennes de mai 2014, et donc comme candidat à la présidence de la Commission, l’actuel commissaire aux affaires économiques, Olli Rehn. Le Finlandais, incarnation assumée des politiques d’austérité mises en place dans la zone euro, constitue un obstacle de taille sur la route du très fédéraliste Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge et
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publié le 9 janvier 2014 à 17h08
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h09)
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Le parti libéral européen (ADLE : Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ex-ELDR) pourrait bien choisir comme tête de liste pour les européennes de mai 2014, et donc comme candidat à la présidence de la Commission, l’actuel commissaire aux affaires économiques, Olli Rehn. Le Finlandais, incarnation assumée des politiques d’austérité mises en place dans la zone euro, constitue un obstacle de taille sur la route du très fédéraliste Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge et actuel patron du troisième groupe politique du Parlement, celui des libéraux et démocrates.
La mauvaise nouvelle est tombée en décembre lorsque Rehn a officialisé une candidature qui ne doit rien au hasard et tout aux Libéraux-Démocrates britanniques et au FDP allemand. L’opération s’est déroulée en deux temps. Nick Clegg, le patron des Lib-dem et vice-premier ministre du conservateur David Cameron, a d’abord annoncé à Verhofstadt, au début de l’automne, qu’il ne voulait pas de lui comme tête de liste, « car tu es trop fédéraliste ». Le patron du groupe libéral pense alors que les Lib-dem se contenteront de s’abstenir lors du congrès de Bruxelles du 1er février où 400 délégués des partis européens membre de l’ADLE se prononceront.
Puis, courant octobre, la rumeur d’une candidature de Rehn commence à courir. Clegg craint manifestement qu’une tête de liste Verhofstadt ne nuise aux Lib-dem durant la campagne britannique qui s’annonce plus eurosceptique que jamais. Il faut donc barrer la route de Verhofstadt. Le FDP est sur le même longueur d’onde en dépit du soutien apporté au Belge par Hans-Dietrich Genscher, le mythique ministre des affaires étrangères qui a porté l’euro sur les fonds baptismaux. Les Lib-dem et le FDP reçoivent alors le renfort des Suédois, des Lettons, des Estoniens, solidarité nordique oblige. Dans le camp des pro-Verhofstadt, c’est la consternation. Car, même si le Belge l’emporte au final, comme c’est probable vu le rapport de force interne, le parti libéral sortira considérablement affaibli de l’affaire.
RTR38NDND’abord parce que ces deux candidatures montrent qu’il y a une forte opposition de projets au sein de la famille libérale : Rehn, c’est l’incarnation de l’austérité brutale, de l’Europe intergouvernementale et de la technocratie froide, alors que Verhofstadt, c’est l’allant fédéraliste, le refus de l’austérité comme seul horizon, l’acceptation de la confrontation politique. Ce n’est pas un hasard si Tony Blair a déjà  bloqué sa nomination à la tête de la Commission en 2004, lui préférant le pâle José Manuel Durao Barroso… Du côté des pro-Verhofstadt, on rappelle que Rehn n’a pas soutenu le patron du groupe libéral et démocrte dans son combat pour la création d’euro-obligations.
Ensuite, Rehn cristallise une opposition nord/sud, même si Graham Watson, le président de l’ADLE, souligne que les libéraux bulgares et chypriotes le soutiennent. Le problème est qu’ils ne pèsent pas grand-chose… Pis : il y a une fracture entre les états-majors dans les capitales et les eurodéputés qui sont majoritairement en faveur de la candidature de Verhfostadt. C’est vrai du FDP, mais aussi des Lib-dem. Ainsi, Chris Davies, le patron des eurodéputés Lib-dem, a condamné le soutien apporté par Clegg à Rehn : pour lui, une « claire majorité (du groupe) soutient Verhofstadt » qui « a montré qu’il était un leader inspiré »…
Enfin, si le Finlandais l’emporte au final, le groupe politique des libéraux et démocrates volera en éclat : en effet, ce groupe réuni l’ADLE et le Parti Démocrate européen (PDE, essentiellement le Modem et l’Alliance pour l’Italie de Francesco Rutelli). Or, ce dernier a annoncé qu’il était hors de question qu’il soutienne la candidature de « Monsieur austérité » puisqu’en France et dans les pays du sud, cela reviendrait à se suicider politiquement. « Rehn n’est pas compatible avec les valeurs du PDE et avec ce que nous défendons comme projet européen », a taclé Marielle de Sarnez : « on a besoin de leadership politique à la présidence de la Commission, de quelqu’un avec une forte personnalité (…) et qui ne soit pas un suiveur par rapport aux Etats membres ». Autant dire que la désignation de Rehn amènerait le PDE à se choisir sa propre tête de liste, sans doute Verhofstadt. Avec, à l’arrivée, deux groupes politiques au Parlement, sanction logique de ce conflit…
Certes, a priori, le groupe libéral et démocrate a peu à perdre en terme d’eurodéputés : sur 84 membres, le PDE n’en revendique que 10 (le Modem ayant souffert en 2009). Mais en 2014, les choses devraient changer puisque les députés UDI qui siègent actuellement au PPE (conservateurs) devraient rejoindre le groupe libéral. Surtout l’alliance Modem/UDI espère faire des étincelles puisqu’elle occupera seule, avec Europe Ecologie les Verts, le champ europhile. En revanche, les libdem britanniques et les libéraux allemands devraient subir une forte érosion (pour rester optimiste).
Autant dire qu’une victoire de Rehn réduirait fortement le poids des libéraux au sein du Parlement européen : divisés, ils pèseraient sans doute moins que les Verts et l’extrême droite, alors qu’unis, ils joueraient un rôle charnière. Tel est d’’ailleurs bien le but de Verhofstadt : il sait qu’il n’a aucune chance de devenir président de la Commission sauf miracle. En revanche, il pourra apporter son soutien soit au candidat conservateur, soit au candidat socialiste pour réunir la majorité nécessaire à la désignation du président de la Commission et, en échange, obtenir la présidence du Parlement. Et dans une telle configuration, il pourrait être élu pour cinq ans alors que depuis trente ans, les présidences sont limitées à 2,5 ans : en effet, actuellement, les partis forment une majorité pour se répartir les postes au sein du Parlement et non pour gouverner. D’où cette scission temporelle du poste de président du Parlement afin que chaque parti y trouve son compte, ce qui a abouti à une vraie délégitimation de la fonction. Un président nommé pour cinq ans jouerait un rôle autrement plus important qu’aujourd’hui, surtout s’il s’agit de Verhofstadt qui a la ferme volonté de développer le contrôle démocratique des institutions communautaires.
Bref, la candidature de Rehn risque d’aboutir à un suicide politique pour la famille libérale. D’autant qu’on ne voit pas ce que le Finlandais a à gagner dans cette affaire : il n’est, pour l’instant, pas sur les listes de son propre parti en Finlande et n’est pas favori pour rempiler une troisième fois comme commissaire. Et s’il perd lors du congrès de février, comme c’est probable, il aura juste montré la division des libéraux et la faiblesse de Verhofstadt dans sa propre famille. Les libéraux aborderont donc le grand mercato européen (la répartition des postes) en position de faiblesse. Brillant.