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Les tableaux de maîtres, toile de fond de la révolution ukrainienne

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Delacroix, Goya, Kandinsky... une autre façon de regarder le soulèvement de Maidan.
El Tres de Mayo de Francisco de Goya (1814). (The Prado in Google Earth.)
par Florent Parmentier, maître de conférence à Sciences Po
publié le 26 février 2014 à 11h43
Comme une série au scénario millimétré, la situation de l’Ukraine évolue très vite, d’heure en heure, au gré de nouveaux rebondissements. Le samedi 22 février, la destitution du président et la libération de Julia Timochenko ont clairement marqué un tournant dans la crise, laquelle a déjà surpris plus d’un d’observateur dans son déroulement. Depuis trois mois, le mouvement auquel nous assistons a déjà créé son imaginaire propre, ses mythes et ses symboles politiques.

Face à cette crise, qu'il nous est parfois difficile d'appréhender, la métaphore artistique n'est sans doute pas inutile. Depuis la fin du mois de novembre, le soulèvement populaire connu sous le nom d'«euro-Maidan» semblait directement inspiré du tableau d'Eugène Delacroix La liberté guidant le peuple. Ce sublime tableau, probablement le seul du peintre à caractère politique, présenté en 1831 sous le titre Scènes de barricades, incarne bien la volonté de changement populaire, l'idéal révolutionnaire et l'appel de la liberté. Le soulèvement des Trois glorieuses de 1830, qui a inspiré le tableau, avait pour origine la volonté de Charles X d'écraser l'opposition libérale qui avait appelé à la désobéissance. La mobilisation dans la capitale fit plier le souverain, qui, finalement, fut remplacé par un autre, la voie républicaine ayant été écartée. Une telle dynamique d'opposition a pu être observée à Kiev, où les citoyens ont vécu comme un affront la non-signature de l'accord d'association avec l'Europe.

Mais mercredi 19 février, les rues de Kiev ressemblaient davantage au tableau de Goya, intitulé Trois mai : des images de violence d'une rare intensité, à forte charge émotionnelle ne pouvant inspirer qu'un sentiment d'horreur, de dégoût et de malaise. Le face-à-face des bourreaux et des victimes, tout comme le contraste entre l'attitude des troupes et celle des manifestants, semblent encourager la comparaison de ce triste jour avec la fusillade des tro