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Libération
Chronique

J’attends de voir ce qui doit naître

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par Philippe DJIAN
publié le 28 février 2014 à 20h16

53) J’entends dire, ici et là, que la situation du pays s’améliore. Je fais partie de ceux qui doutent mais que l’espoir, néanmoins, maintient prudemment en vie.

54) Je me méfie des écrivains. En lisant Agonie d'agapède William Gaddis, j'ai failli avoir une syncope. Les grands bonheurs sont si rares.

55) La science nous apprend que l’homme nouveau est en marche. Que très bientôt, nous vivrons jusqu’à 150 ans et qu’un honnête citoyen pourra se marier au moins trois fois, si je réfléchis, et avoir une douzaine d’enfants. Pas en même temps, bien sûr. Et ce sera une espèce de paradis comparé à nos vies mornes d’aujourd’hui, si courtes. Je me vois déjà au bras d’une Noire, puis d’une jaune, d’une rousse, apprenant différentes langues, changeant de pays, m’initiant à d’autres coutumes, pratiquant différentes religions, devenu gangster avec l’une, poète avec l’autre, banquier avec la rousse. Je suis tellement excité à cette idée. J’ai réveillé ma femme pour lui en parler. Regarde-moi, lui ai-je dit, imagine-moi à 150 ans passés. Elle a ouvert un œil puis s’est rendormie.

56) Au moins, je n’aimerais pas mourir avant que l’Europe ne soit construite. J’attends de voir quelques citadelles s’écrouler, quelques mentalités s’ouvrir. J’attends de voir ce qui doit naître. Je veux voir ça. Je veux voir l’intelligence triompher. Vivre une centaine d’années de plus me permettrait de patienter, de me montrer plus réaliste. Et sans doute alors errerions-nous parmi les décombres, au milieu