Menu
Libération

La place des contraires

Article réservé aux abonnés
par Michaël Fœssel, professeur de philosophie à l’école Polytechnique.
publié le 7 mars 2014 à 17h46

Un fait devient un événement lorsqu’il possède quelque chose d’inclassable. On parle, sans plus, du 11 septembre pour suggérer que quelque chose (mais quoi ?) est né dans les relations internationales à cette date. Cette petite facilité rhétorique permet de ne pas trahir la singularité : faute de comprendre ce qui se passe, on pressent que rien ne sera tout à fait comme avant.

C’est par métonymie, mais cette fois spatiale et non temporelle, que l’on parle de Maidan pour nommer les événements ukrainiens en cours. Le mot, qui signifie «place, incarne aujourd’hui l’«indépendance». S’agit-il d’une révolution démocratique comme l’affirment ses partisans ? Ou d’un coup d’Etat favorisé par des puissances étrangères comme le proclament ses adversaires ? La référence à ce nom permet de laisser provisoirement ces questions sans réponse.

Pour les étrangers, et peut-être même pour les Ukrainiens, Maidan a l’allure d’un terme exotique qui exprime la réunion des inconciliables. Il regroupe des jeunes diplômés qui rêvent d’Occident, des citoyens exaspérés par la corruption, des fascistes nostalgiques de la division SS Galicie (formée de volontaires ukrainiens) et certainement bon nombre d’habitants de Kiev désireux de prendre en marche le train de l’histoire. Pour exprimer cette multiplicité sans s’y perdre, on retient le nom du lieu où elle s’est rassemblée.

Maidan est donc un mot qui dit une synthèse impossible. Lorsqu’une manifestation se déroule le long d’une avenue, elle a un commencemen