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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Le "grand soir européen" n'aura pas lieu le 30 août

Ceux qui rêvent d’un « grand soir » européen vont en être pour leurs frais. Le Sommet des vingt-huit chefs d’État et de gouvernement qui aura lieu demain soir à Bruxelles ne portera pas sur les questions économiques, mais sur la désignation du président du Conseil européen et du ministre des Affaires étrangères de l’UE, les mandats du Belge Herman Van Rompuy et de la Britannique Catherine Ashton arrivant à échéance le 30 octobre prochain. La « réorientation » de la politique économique de l’Unio
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publié le 30 août 2014 à 0h00
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h09)
20130517 Sommet UE 05Ceux qui rêvent d’un « grand soir » européen vont en être pour leurs frais. Le Sommet des vingt-huit chefs d’État et de gouvernement qui aura lieu demain soir à Bruxelles ne portera pas sur les questions économiques, mais sur la désignation du président du Conseil européen et du ministre des Affaires étrangères de l’UE, les mandats du Belge Herman Van Rompuy et de la Britannique Catherine Ashton arrivant à échéance le 30 octobre prochain. La « réorientation » de la politique économique de l’Union souhaitée par les socio-démocrates européens attendra encore quelques semaines, le temps que  les institutions communautaires soient en ordre de marche. « Il y a eu des couacs de communication venus du ministère des Finances qui ont donné à penser que le Conseil européen du 30 août serait déterminant sur les questions économiques », reconnaît-on à l’Élysée. « On est bien conscient que ce bref sommet à un autre objet. Mais la France en profitera pour demander à ce qu’un sommet spécial limité à la zone euro soit organisé d’ici le mois d’octobre, ce qui actera le fait qu’il y a urgence à agir vu la dégradation de la croissance, y compris en Allemagne ».
On rappelle aussi à Bruxelles que le sommet des 26 et 27 juin dernier, qui a élu le social-chrétien luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission, comme l’exigeait le Parlement européen, a déjà acté que la prochaine législature serait moins marquée par l’obsession de l’équilibre budgétaire. Prix de leur soutien à la candidature de l’ancien premier ministre du Grand Duché, les dirigeants socio-démocrates, emmenés par la France et l’Italie, ont obtenu que l’action de Juncker soit encadrée par un « contrat de gouvernement », baptisé « programme stratégique pour l’Union à l’heure du changement », afin d’éviter les coups de Jarnac. Ce texte, adopté à l’unanimité des Vingt-huit, prévoit ainsi que le calendrier du retour des déficits publics sous le plafond des 3 % du PIB sera aménagé afin de tenir compte de la croissance atone ou encore que l’Union se lancera dans « des mesures audacieuses pour stimuler la croissance », en particulier en finançant un programme de grands travaux transeuropéens (Juncker propose d’y consacrer 300 milliards sur 5 ans). C’est ce programme qui doit maintenant être mis en musique par la nouvelle Commission avant que le Parlement européen et les États en discutent. C’est seulement à ce moment que l’on verra si l’Allemagne est prête à aider ses partenaires : « la croissance étant redevenue négative chez elle, elle voit bien qu’elle dépend étroitement de ses partenaires », veut-on croire à Paris.
20130314 Summit 15_Encore faut-il, pour que Juncker puisse se mettre au travail, que l’Union ait des dirigeants, ce qui n’est pas le cas. Pour l’instant, seul le président de la Commission a été formellement élu. Pour le reste, c’est le chaos : non seulement, tous les pays n’ont pas désigné leur commissaire (un poste par État membre), à l’image de la Belgique empêtrée dans une crise gouvernementale, ce qui empêche le président de l’exécutif européen de répartir les portefeuilles, mais les États ont été incapables, le 16 juillet dernier, de se mettre d’accord sur les noms du président du Conseil européen et du ministre des Affaires étrangères (qui est en même temps vice-président de la Commission). Les chefs d’État et de gouvernement se sont compliqué la tâche en convenant de statuer par consensus pour ces nominations, alors que les traités prévoient un vote à la majorité qualifiée. L’idée est que cela aidera à faire oublier à la Grande-Bretagne la gifle reçue en juin dernier lorsqu’elle a été mise en minorité lors de la désignation de Juncker…
L’équation est particulièrement complexe. Le président de la Commission étant un homme, conservateur, ressortissant d’un petit pays du centre de l’Europe, membre fondateur de l’Union, il faut répartir les autres postes en fonction des couleurs politiques, de la géographie et du sexe. Le poste de président de l’Eurogroupe (ministres des Finances de la zone euro) semblant promis ministre des finances espagnol (homme, conservateur), selon le souhait d’Angela Merkel, la chancelière allemande, les socio-démocrates peuvent revendiquer l’un des deux autres postes, voire les deux. Mais il faut au moins une femme et au moins un pays du nord ou de l’est…
05222013_Monasse_EU-Sumit_13Il semble que la ministre des affaires étrangères italienne, la sociale-démocrate Federica Mogherini, tienne la corde. Mais les pays de l’Est, en échange de ce qu’ils estiment une concession à une personnalité soupçonnée d’être trop molle face à la Russie, veulent obtenir le poste de président du Conseil. Problème : le Premier ministre polonais, Donald Tusk, n’est pas vraiment chaud et, surtout, s’il parle allemand, il ne parle ni anglais ni français, ce qui risque de rendre pénible sa présidence… Les autres candidats de l’Est (issu des pays baltes) ne convainquent guère : « ils ne sont absolument pas connus sur la scène internationale », dit-on à Paris. François Hollande est donc favorable à la désignation de la Première ministre danoise, la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt (qui parle anglais et français), même si son pays n’est pas membre de la zone euro. « Elle est connue dans le monde entier et cela aurait de la gueule d’avoir deux femmes pour représenter l’Europe », plaide-t-on à l’Elysée. La Danoise plait en outre à David Cameron et à Angela Merkel, ce qui n’est pas rien. Dans ce cas de figure, l’Est serait bredouille : « mais on peut dire la même chose du nord qui n’a jamais obtenu un poste dirigeant européen », glisse-t-on à l’Élysée.
La désignation de deux femmes permettrait en même temps de régler en partie la question des genres : sur les 24 commissaires désignés pour l’instant, il n’y a que quatre femmes (contre 9 dans la Commission sortante)… Un tel collège n’a guère de chance d’être confirmé par le Parlement européen. Une fois tous les commissaires désignés, il faudra que Juncker répartisse les portefeuilles en veillant à ne pas maltraiter les grands pays… Autant dire que la « cuisine » européenne risque d’occuper les Vingt-huit jusque tard dans la nuit de samedi, sans guère de possibilité de parler de la situation économique de l’Union.
N.B.: version longue de mon article paru aujourd’hui dans Libération