José Manuel Durao Barroso a commencé son premier mandat à la tête de la Commission, en 2005, par le double non français et néerlandais au projet de constitution européenne. Il termine le second avec un FN à 25 % en France et des partis eurosceptiques qui ont poussé un peu partout comme des champignons. Deux évènements qui symbolisent ce que fut le règne de l’ancien Premier ministre du Portugal : sans aller jusqu’à l’accuser de s’être «acharné à faire haïr l’Europe», comme l’a clamé mardi après-midi à Strasbourg l’eurodéputé communiste Patrick Le Hyaric, Barroso n’a en tout cas rien fait pour la faire aimer. Rares, très rares seront ceux qui regretteront de le voir quitter le 13ème étage du Berlaymont, le siège de la Commission européenne à Bruxelles, le 3 novembre prochain. D’ailleurs, pour assister à ses adieux au Parlement, il n’y avait que 170 eurodéputés (sur 751) présents dans l’hémicycle, essentiellement ceux de sa famille politique, les conservateurs du PPE. Une misère.
Le plaidoyer pro domo –prononcé uniquement en anglais- qu’a livré Barroso était un rien pathétique : alors qu’on attendait un minimum de hauteur de vue et de pistes pour l’avenir, alors que l’Europe est au bord de la déflation, alors que l’europhobie se répand dans l’Union, essentiellement dans les pays fondateurs, alors que rien ne semble endiguer la montée du chômage, il a joué en défense, essayant de démontrer qu’il avait été le «right man at the right place», le capitaine du navire Europe affrontant les tempêtes institutionnelles (le rejet de la Constitution européenne) et financières (la crise de la zone euro). Aucun début d’autocritique, aucun regret de laisser le navire en péril, juste un boutiquier tentant de démontrer qu’il laisse les comptes en ordre : les dysfonctionnements de l’Union, qu’il admet, ne sont pas de son fait, mais des États.
Il n’a pas totalement tort, évidemment, rien ne pouvant se faire sans eux. Mais, celui qui s’est dit dès 2004 «au service des États», n’a jamais été la force de proposition qui aurait permis à l’Union d’éviter ou de surmonter les écueils. Placé à la présidence de la Commission grâce à l’entregent de son ami Tony Blair, qui venait de poser un veto à la nomination du trop fédéraliste et pas assez atlantiste Guy Verhofstadt, l’homme qui a accueilli, en tant que Premier ministre portugais, le sommet des Açores au cours duquel Georges W. Bush a déclaré la guerre à l’Irak, n’a jamais été là pour renforcer politiquement l’Europe, bien au contraire.
Il a fait plus pour affaiblir l’Union que les «no» de Margaret Thatcher
Ainsi, son acharnement à défendre jusqu’au bout la proposition de directive Bolkenstein, c’est-à-dire jusqu’au non français dont il porte une part non négligeable de responsabilité, a fait plus pour affaiblir l’Union que les «no» à répétition de la dame de fer, Margaret Thatcher… De même, lorsque Barroso regrette devant le Parlement l’impréparation de la zone euro lors de la crise des dettes publiques pour expliquer trois ans de cafouillage, il oublie qu’il était un militant convaincu de la déréglementation estimant que les «codes de bonne conduite» non obligatoire suffisaient amplement. Il a notamment fermement soutenu son commissaire au marché intérieur entre 2004 et 2009, l’Irlandais ultralibéral Charlie MacCreevy, qui refusait toute réglementation des marchés financiers. On a vu le résultat.
Ce n’est donc pas un pur hasard si la gestion de la crise institutionnelle de 2005, il jugeait à l’époque que le rejet du traité constitutionnel était un problème purement français, puis celle de la crise de la zone Euro, lui ont échappé, celles-ci étant traitées directement par Berlin et Paris. Jamais la Commission n’a été à l’initiative : d’exécutif, elle est devenue, sous le règne de Barroso, un simple secrétariat des Etats membres. Les rares moments de courage de l’ex Premier ministre portugais, c’est-à-dire lorsqu’il s’est rappelé qu’il disposait du monopole d’initiative, n’ont jamais résisté très longtemps aux froncements de sourcils des États membres. Par exemple lorsqu’il a proposé la création d’obligations européennes ou lors de la négociation des perspectives financières de l’Union pour la période 2014-2020 : dans les deux cas, il s’est misérablement couché, évitant de pointer la responsabilité des États. Le plus souvent, il recule avant même d’avoir avancé : ainsi, on attend toujours sa proposition de modifications des traités destinée à renforcer l’Union et à démocratiser son fonctionnement, une promesse formulée il y a plus d’un an…
Pas un éclat de voix en dix ans passés à la tête de la commission de présidence

Et Barroso n’en a jamais eu beaucoup comme le montre sa brutale conversion à la réglementation des marchés financiers après 2009. Celui dont le nom en portugais signifie «dur argileux» n’a pas barguigné lorsque les États, l’Allemagne et la France en particulier, ont sifflé la fin de la récréation. Mais jamais il n’a été à l’origine de l’extraordinaire approfondissement de l’Union auquel on a assisté ces dernières années. Même l’Union bancaire, ce saut fédéral sans précédent lancé en juin 2012, n’est pas une idée de la Commission, Barroso s’étant contenté, en 2009, de la mise en place d’une surveillance légère des établissements financiers qui a rapidement montré ses limites.
Et que dire de sa gestion des programmes d’austérité mis en place dans les États de la périphérie de la zone euro ? La Commission, en se montrant encore plus rigoureuse que le FMI, a fait preuve d’une totale absence de sens politique, Barroso n’osant même pas aller affronter sur le terrain les opinions des pays contraints de couper dans leurs dépenses publiques. Le Portugais a réussi l’exploit, en endossant des habits trop grands pour lui, de faire apparaître le FMI comme une institution plus humaine que la sienne. Est-ce un hasard si, dans son discours d’adieu, il n’a prononcé ni le mot de «citoyen», ni celui de «chômeur» ?
Le Tafta lancé en pleine crise à un an des Européennes
Enfin, pour clore ce long, trop long, règne, Barroso a commis une bévue aussi grave que sa défense hallucinée de la directive Bolkestein en 2004-2005. Pour complaire aux Américains (il espérait alors décrocher un poste international, soit à l’OTAN, soit à l’ONU), il a lancé en 2013 la négociation d’un traité de libre-échange avec les États-Unis (Tafta), en pleine crise économique et alors que les opinions publiques doutent de plus en plus des bienfaits de la mondialisation. Il ne pouvait pas fournir meilleur argument aux eurosceptiques à un an des Européennes… Le résultat a été à la hauteur des pires craintes, notamment en France où le FN a atteint 25 % des voix, cette négociation lui permettant de dénoncer la folie «ultralibérale» de l’Europe.
Avec le recul, on ne peut qu’être frappé par la justesse des mots de Miguel Sousa Tavares, un éditorialiste, qui estimait en 2004 dans le quotidien Publico, que les idées de Barroso «sont desséchées par les manœuvres politiciennes, les stratégies de conquête du pouvoir et les ambitions personnelles». C’est «un personnage constamment disposé au compromis et prêt à négocier tout et le reste y compris l’essentiel, poursuit Tavares : Rien n’est sacré, rien n’est définitif, tout est négociable».
En dix ans, l’Union a plusieurs fois frôlé l’explosion. Si elle sort institutionnellement renforcée de ces épreuves, ce n’est pas grâce à Barroso, loin de là, lui qui a, à chaque fois, joué au boutefeu, fidèle en cela au mandat implicitement confié par Tony Blair en 2004. Le bientôt ex-président de la commission a vanté, hier, la «résilience» de l’Union. On ne peut qu’être d’accord après dix ans de présidence Barroso. Mais les opinions publiques, elles, ont manifestement été moins résistantes que les institutions : jamais l’Europe n’a été aussi mal aimée.
Photos: Reuters