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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

Budget 2015: la France piégée par sa culture du secret

La culture du secret de l’administration française est aussi adaptée au XXIème siècle que l’était, sur le plan militaire, la ligne Maginot en 1940, c’est dire. L’affaire de lettre envoyée par la Commission aux États de la zone euro qui ne respectent pas leurs engagements budgétaires en fournit une nouvelle illustration. Tout commence mercredi, lorsque le Financial Times, le quotidien des affaires britannique annonce que l’exécutif communautaire va envoyer le jour même un courrier demandant aux g
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publié le 24 octobre 2014 à 16h52
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h09)
RTR4BC14La culture du secret de l’administration française est aussi adaptée au XXIème siècle que l’était, sur le plan militaire, la ligne Maginot en 1940, c’est dire. L’affaire de lettre envoyée par la Commission aux États de la zone euro qui ne respectent pas leurs engagements budgétaires en fournit une nouvelle illustration.
Tout commence mercredi, lorsque le Financial Times, le quotidien des affaires britannique annonce que l’exécutif communautaire va envoyer le jour même un courrier demandant aux gouvernements français, italien, autrichien, slovène et maltais des explications sur leur projet de budget ainsi que des efforts supplémentaires. La nouvelle est immédiatement reprise en boucle par les médias européens, bien que personne n’ait vu la fameuse lettre. Le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, furieux de cette fuite, décide, jeudi, de publier in extenso la missive afin que chacun puisse juger sur pièce. François Hollande, fidèle à la tradition française, refuse, lui, tout net de la publier : « une lettre très banale » qui « n’a pas grande signification au-delà de demander un certain nombre d’informations et de précisions », se justifie-t-il.
Mais, alors, si elle est « banale », pourquoi ne pas la publier ? Tout simplement parce que le chef de l’État est un  parfait produit de l’administration française pour qui la transparence est un gros mot. Celle-ci a certes fait des progrès au cours des dernières années sous la pression de l’opinion publique, mais l’Hexagone reste très loin des standards des démocraties modernes. Ainsi, à Bruxelles, jamais un diplomate français ne donnera le moindre document à un journaliste, même s’il émane de la Commission ou d’un autre pays.
Le problème, pour la France, est que ce culte préhistorique du secret, lié à sa tradition inquisitoriale, n’est pas partagé par une grande majorité d’États membres : les journalistes ont donc pris l’habitude de contourner le verrou français en s’adressant soit aux institutions communautaires, soit à ses partenaires qui, eux, ne rechignent pas à transmettre toutes sortes de documents. Un exemple parmi d’autres : Paris n’a jamais voulu leur donner le fameux mandat de négociation du futur traité transatlantique, adopté par les États en juillet 2013. Ce qui n’a pas empêché sa publication sur le net. Mieux : elle refuse toujours de leur remettre une version française, comme s’il s’agissait des codes nucléaires… La même mésaventure s’est produite avec la lettre cachée, finalement publiée par Mediapart ce vendredi. Ridicule et surtout contreproductif.
En effet, l’administration française semble ignorer que la communication c’est de la politique, et réciproquement, surtout à l’heure d’internet, les opinions publiques pouvant être retournées en quelques minutes, que « l’information » soit juste ou non. Renzi, jeune et moderne, l’a parfaitement compris. La Commission ayant utilisé le FT –et ça n’est pas la première fois - comme un porte-voix afin d’accentuer la pression sur les Etats, le président du conseil italien a riposté en publiant la lettre ce qui a mis fin aux rumeurs et détourné l’attention du contenu de la lettre. Autrement dit, il a fait un magnifique bras d’honneur à Bruxelles.
José Manuel Durao Barroso, le président sortant de la Commission, n’en est toujours pas revenu. Laissant éclater sa colère, il a condamné l’initiative de Renzi en affirmant que ces négociations n’étaient pas une « bataille ». Un tantinet gonflé, puisque ce sont bien ses services qui ont tiré les premiers en alertant le FT : le journaliste n’a pas pénétré nuitamment dans les locaux de la Commission et forcé ses coffres… Renzi a d’ailleurs pris cette colère avec le sourire, conscient d’avoir touché juste.
Hollande, lui, n’a pas su riposter. En campant sur son culte du secret, le chef de l’Etat a, en réalité, encaissé un tir sans réagir et il laisse la Commission à la manoeuvre. Politiquement, ça n’est jamais bon.