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Dany Cohn-Bendit a été choqué par les médias qui parlent de "Quatre otages tués" à l'HyperCacher. Pourquoi ne pas dire "Quatre juifs assassinés ?
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publié le 10 janvier 2015 à 16h29
(mis à jour le 11 janvier 2015 à 11h11)

Semaine sanglante, vendredi noir. A 14 h on apprend que, maintenant, le gang des terroristes s'est attaqué à une boutique casher. Non, pas encore ! «Une nouvelle fois» dira plus tard Manuel Valls. «Un acte antisémite effroyable» dit tout de suite François Hollande. Comme tout le monde on est collé aux «news». Un sentiment désagréable. Soudain les quatre morts de cette épicerie sont des «otages» assassinés. Anonymes. Invisibles. D'où ce dialogue entre Dany Cohn-Bendit et moi, ce samedi, sur ce «malaise»...

Moi: On dit des dessinateurs tués parce qu'ils étaient dessinateurs, des policiers tués parce qu'ils étaient policiers et ces gens qui faisaient leurs courses vendredi dans une épicerie casher ? On n'ose pas dire «Quatre juifs ont été tués.»

Dany: Moi quand j'ai entendu qu'il y avait une prise d'otages dans l'HyperCacher, dans la seconde j'ai eu une réaction qui, en fait, n'est pas mon identité habituelle: «j'étais juif !» Parce ces juifs sont morts simplement parce qu'ils étaient juifs. Il y a d'un côté une horreur, le massacre à Charlie Hebdo, et devant cette horreur des milliers de personnes s'identifient avec l'idée de la tolérance. Tout le monde dit qu'ils étaient des «combattants de la liberté» et on met en exergue la phrase de Charb: «Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux.» Il faut se battre pour la liberté et Charlie c'est un symbole. Ce qui est terrible c'est que j'ai l'impression de revenir 70 ans en arrière, quand Jorge Semprun racontait la distinction dans les camps entre les résistants, les communistes, les juifs qui se battaient, et les autres. Quand la seule raison pour laquelle on puisse te tuer c'est parce que tu es juif, c'est le retour d'une barbarie innommable qui s'ajoute à une autre barbarie innommable.

En 68 on disait «Nous sommes tous des juifs allemands» et plus tard, en 80, après l’attentat de la synagogue de la rue Copernic, on titrait à la une de Libération: «Nous sommes tous des juifs français.»

Dany: Il faut reconnaître que Clémentine Autin, la première, a tout de suite twitter «aujourd'hui Je Suis Juive». Il faut que les medias français disent aujourd'hui «Quatre juifs massacrés.» Quand la télé allemande m'a appelé vendredi soir, pour que j'analyse les terribles événements, le journaliste allemand m'a demandé: «Vous pouvez m'expliquer pourquoi il n'y a pas eu de grande mobilisation après les massacres d'enfants juifs par Merah ?» Silence. Alors je lui ai dit: «Je passe...» A Vincennes ou République, vendredi soir, il n'y a pas eu de bougies ou de manifestations populaires après la tuerie à l'épicerie casher.

On a une triste exception française: même au musée juif de Bruxelles l’attaquant était venu de France.

Dany: Le passage est glissant entre un débat légitime sur la politique d'Israël, puis on passe à l'antisémitisme, et enfin à des assassinats. Pour moi c'est difficile, je me sens à ce moment «juif» alors que tout ma vie n'est pas «juive» et ce sentiment qu'on revient aujourd'hui à cette situation est effroyable. Et même cette image de juifs enfermés avec un bébé dans la chambre froide du magasin casher, fait remonter du refoulé de l'horreur. Les gens qui agissent ne viennent pas de la lune, ni du Moyen-Orient, ils viennent de chez nous. Cela bascule dans l'horreur. Il faudra un jour que ce pays essaye de trouver des solutions . Et se pose la question: pourquoi produit-il des monstres ?