Les auditeurs de la matinale de France Inter ont entendu Bernard Guetta s’étrangler quand l’invité de la rédaction, Florian Philippot, a déclaré que «l’extrême droite nazie, c’est celle qui est au pouvoir en Ukraine». Face aux vives réactions du chroniqueur, le vice-président du Front national lui a ensuite reproché de réciter la propagande américaine au sujet de l’Ukraine. Là où le bât blesse, c’est que quelques minutes auparavant, l’énarque dont le ton fat laissait, en apparence, transparaître son expertise sur le sujet reprenait à son compte la propagande du régime syrien. En effet, interrogé sur la visite de quatre parlementaires français à Damas, Florian Philippot déclarait que «cette initiative [lui] [paraissait] plutôt saine» et ajoutait que «lui [Bachar al-Assad] combat aussi l’Etat islamique». Premier mensonge relayé par M. Philippot : les principales victimes du régime sont les civils syriens affamés par des sièges et bombardés par l’aviation.
Les «gentils rebelles syriens»
De plus, les principales opérations menées par l’armée du régime et ses alliés n’ont pas visé l’EI, mais l’Armée syrienne libre (l’ASL) ou le front Al-Nosra, comme c’est le cas dans le sud du pays. Lorsque la question lui est posée sur la responsabilité du régime syrien dans l’émergence de groupes armés islamistes dont l’EI, Florian Philippot estime que «ce qui a alimenté l’émergence de l’Etat islamique», c’est l’intervention des Occidentaux, dont la France, auprès des «gentils rebelles syriens» qui en fait, selon lui, étaient des islamistes. C’est la ritournelle servie par le régime : ceux que l’Occident a soutenus, se retournent contre lui. Deuxième mensonge qui repose sur la confusion volontaire entre les différentes composantes de l’opposition armée syrienne. En outre, Florian Philippot passe sous silence le fait que le régime a réprimé de façon extrêmement brutale et sanglante des manifestations pacifiques et que cette répression a, entre autres, conduit à la radicalisation de certaines franges de l’opposition. Il fait également fi du fait que le régime a poussé à la confessionnalisation du conflit en Syrie. Par ailleurs, il néglige le fait que de nombreux rebelles syriens se sont plaints d’avoir été abandonnés par l’Occident qui ne les a pas suffisamment soutenus, notamment militairement et ceci pendant les mois et les années auxquels M. Philippot fait allusion.
Bachar al-Assad «n’est pas parfait, loin de là»
Enfin, ce dernier évite de mentionner les nombreux chercheurs et spécialistes dont les travaux ont montré que le régime syrien a laissé s’installer des groupes armés islamistes, afin de pouvoir se présenter comme rempart contre le péril du terrorisme islamiste qui menace également l’Occident. Des commentateurs sont, certes, revenus sur le rôle pour le moins ambigu de certaines diplomaties occidentales, dont la France, qui, de peur de «manquer» le rendez-vous révolutionnaire comme en Tunisie et en Egypte, ont appelé très rapidement au départ de Bachar al-Assad et ont encouragé le soulèvement contre le régime, sans écouter ceux qui estimaient ce dernier capable de tenir ; et sans fournir l’aide réclamée par les opposants laissés au milieu du gué. La solution diplomatique semble aujourd’hui être privilégiée par les chancelleries, ce que certaines voix déplorent. Mais là n’est pas la question. Grand seigneur, Florian Philippot reconnaît que Bachar al-Assad «n’est pas parfait, loin de là», mais, en se faisant le relai de sa propagande, il contribue à remettre en selle celui qui poursuit le massacre d’innombrables civiles tout en agitant la menace de l’EI. Pour quelqu’un qui prétend accéder aux responsabilités, c’est une faute à la fois morale et politique. Si seulement Bernard Guetta avait pu également bondir quand l’expert autoproclamé de la Syrie jouait en douce la partition du régime syrien sur les ondes du service public…