Il a fallu près de 3h30 de discussions pour
qu’Alexis Tsipras finisse par se résigner : les Européens ne lâcheront pas
un euro supplémentaire à la Grèce si elle ne met pas en œuvre rapidement les
réformes structurelles qu’ils réclament. Le Premier ministre grec espérait
pourtant que la zone euro, effrayée par la perspective, chaque jour de plus en
plus précise, d’un défaut de paiement, voire d’un « Grexit »,
accepterait de lui verser immédiatement et sans contrepartie la dernière tranche de l’aide financière promise
(7,2 milliards d’euros) afin qu’il puisse appliquer son programme électoral.
C’est raté : ses partenaires lui ont rappelé qu’il n’y avait pas d’argent
gratuit.
C’est Alexis Tsipras qui avait demandé à
rencontrer, en marge du sommet européen de printemps, la chancelière allemande,
Angela Merkel, le président français, François Hollande et les présidents des
institutions européennes (Mario Draghi pour la Banque centrale européenne, Jean-Claude
Juncker pour la Commission, Donald Tusk pour le Conseil européen des chefs d’État
et de gouvernement et Jeroen Dijsselbloem, pour l’Eurogroupe). Le 12 février
dernier, lors du précédent sommet, il avait tenté d’évoquer la crise grecque
afin d’obtenir un règlement politique. Mais il s’était heurté à une
indifférence polie, les chefs estimant que la crise grecque relevait de l’Eurogroupe qui réunit
les 19 ministres des Finances de la zone euro. Il n’a donc pas répété la même
erreur en demandant à rencontrer seulement quelques responsables européens en
formation restreinte. Ce qui a fortement déplu au Premier ministre belge,
Charles Michel, qui a clamé, jeudi, en début d’après-midi, sa
« colère » de ne pas être convié. Mais lorsque Donald Tusk a demandé,
lors de la réunion du Conseil européen, si quelqu’un voulait qu’il convoque
formellement un sommet de l’Eurogroupe, tout le monde s’est tu. Les chefs se
souviennent, en effet, trop bien, des interminables sommets « de la
dernière chance », entre 2010 et 2012, et personne n’avait envie de
remettre le couvert avec les Grecs.
Bien leur en a pris : le mini-sommet a
débuté à 22h45, jeudi soir, et s’est terminé à 2h du matin. Les créanciers de
la Grèce n’ont pas varié : il est hors de question de remettre en cause
l’accord conclu au sein de l’Eurogroupe, les 20 et 24 février dernier. Le
programme d’assistance financière sera prolongé jusqu’au 30 juin, mais
seulement à condition qu’Athènes remédie aux dysfonctionnements de l’État grec
et s’engage à ne pas dégrader ses comptes publics par des « mesures
unilatérales ». Le tout, sous la surveillance étroite du « club de
Bruxelles », le nouveau nom de la « Troïka » regroupant la
Commission, la BCE et le FMI… Comme l’a résumé François Hollande lors de son
arrivée au sommet, « que le gouvernement grec fasse des efforts pour les
pauvres, ce n’est pas ça qui me choque, ce qu’on demande à la Grèce, c’est
qu’elle demande aux plus riches de payer des impôts ».
Or depuis trois semaines, le gouvernement grec
traine des pieds : non seulement aucune des réformes qu’il s’est engagé à
mener à bien dans une lettre envoyée à l’Eurogroupe le 24 février n’a été
engagée, mais il s’oppose au travail des fonctionnaires du « club de
Bruxelles » qui n’ont plus accès aux ministères pour effectuer leur
travail de vérification. Certes, Yannis Varoufakis, le ministre des Finances, a
annoncé qu’il allait renforcer la lutte contre la fraude fiscale, mais les
mesures, comme l’embauche temporaire de touristes chargés de dénoncer les
commerçants fraudeurs, manquent un tantinet de sérieux et de précision. Le
vote, il y a une semaine, d’une loi sociale destinée à venir en aide aux plus
pauvres et l’annonce de la réouverture de l’ERT, la télévision publique fermée
par le précédent gouvernement, qui implique que le pléthorique personnel
licencié soit réembauché, ont été mal reçus par les créanciers de la
Grèce : car s’ils voient bien les nouvelles dépenses publiques que cela
implique, alors que le solde budgétaire positif s’est considérablement dégradé
(418 millions d’euros contre 1,8 milliard d’euros un an plus tôt), une partie
des Grecs ayant cessé, depuis décembre, de payer l’impôt foncier dont la
suppression a été promise par Syriza, ils ne voient toujours pas les mesures
d’économies correspondantes…
Pis : Athènes a multiplié, depuis le 24
février, les provocations à l'égard de l'Allemagne, notamment en menaçant de
saisir les biens allemands en Grèce pour indemniser les victimes du nazisme ou
en installant une commission d'enquête sur les dommages de guerre réclamés à
Berlin. Le ministre de la Défense, le populiste de droite Panos Kammenos, a même
carrément menacé de donner des papiers aux immigrés clandestins pour
qu'ils se rendent « à Berlin ».
Cette stratégie de la tension vise à décourager les partenaires
d’Athènes de se montrer trop exigeants : « ils veulent un maximum de
souplesse et tirent donc sur la corde », analyse un diplomate européen.
L’effet a été inverse : la zone euro n’a jamais été aussi soudée, et
plusieurs responsables politiques ont même évoqué froidement « un Grexident »,
une sortie par accident : cela « n’est pas à exclure », a ainsi
menacé il y a quelques jours Wolfgang Schäuble, le grand argentier allemand.
Les citoyens grecs ont manifesté leur inquiétude en recommençant à retirer leur
argent des banques : 300 millions d’euros dans la seule journée de
mercredi (et 16 milliards entre décembre et février), fragilisant davantage un
système bancaire au bord de la rupture.
« Tsipras mène aussi un jeu de politique intérieure :
il veut montrer à son opinion publique qu’il est de bonne volonté, mais que ce
sont les autres qui sont méchants », affirme un diplomate de haut
rang : « le communiqué du mini-sommet de jeudi soir dit que la zone
euro attend les propositions de réformes du gouvernement grec afin de montrer
que l’initiative leur revient. Or, ils ont publié un communiqué vendredi dans
lequel ils disent attendre les réformes que vont leur proposer les Européens…
Ils veulent pouvoir refuser telle ou telle réforme afin de montrer leur
détermination ».
Le mini-sommet a permis de montrer à Tsipras que la zone euro
était totalement unie et qu'elle ne lâcherait rien de l'accord du 20 février.
Le Premier ministre grec « s'est engagé » à le respecter à affirmé
François Hollande : « il y a urgence à agir » après un mois
d'inaction. Signe
de bonne volonté, Yanis Varoufakis a écrit, vendredi, sur son blog, que
« nous devrions essayer de mettre fin au petit jeu toxique qui consiste à
s'accuser mutuellement en brandissant un doigt accusateur ». Jean-Claude
Juncker, lui, a annoncé qu'il allait mettre à la disposition de la Grèce deux
milliards d'euros provenant de fonds européens non utilisés afin de lutter
contre la « crise humanitaire », une expression chère au cœur de
Syriza. Le feuilleton grec continue.
N.B.: version longue de mon article paru dans Libération daté du 21 mars