Propos recueillis
par Vincent Hiribarren
Questions à Alexander Lock, spécialiste de
l’histoire moderne britannique et chercheur auprès de la British Library pour
la nouvelle exposition Magna Carta:
Law, Liberty, Legacy ouverte du 13 mars au 1er septembre 2015 à la British
Library à Londres.
Au Moyen-Âge, la Magna Carta a été appliquée en Angleterre et au Pays de Galles. Pourtant son histoire ne s’est
pas arrêtée là. Comment les Britanniques se sont-ils servis de ce texte en
Afrique ?
À la veille de la
guerre des Boers, le poète anglais grand apologue de l’Empire, Rudyard
Kipling, écrit un poème «The Old Issue» et
invoque la Magna Carta pour justifier l’expansion impériale en Afrique du Sud. Le
poème utilise Magna Carta pour attaquer le gouvernement de Paul Kruger dans le
Transvaal l’accusant de bafouer les droits politiques des colons britanniques
dans la région. Le titre est un jeu de mots suggérant que le déni de droits par
un dirigeant tyrannique était un «vieux problème» que les Britanniques avaient résolu
avec la Magna Carta de 1215. Dans ce poème, la Grande Charte sert donc à rétablir
les droits historiques des britanniques. Le projet impérial vise, selon
Kipling, à défendre la liberté et la primauté du droit incarnée dans la Magna
Carta dans le reste du monde. La conservatrice des archives du parlement britannique Oriana Calman (à gauche), Chris Woods (au centre), directeur du National Conservation Service and Salisbury
Cathedral, et l’archiviste Emily Naish (à droite) examinent une copie de de la Magna Carta de 1215, à la cathédrale de Salisbury. Photo: Matt Dunham / pool / AFP
La Magna Carta ne s’applique-t-elle qu’aux
Britanniques en Afrique ?
En théorie, oui. En 1947 de retour
en Afrique après la seconde guerre mondiale, les troupes coloniales
britanniques projettent de célébrer le «Jour de l'Empire». Parmi les symboles
potentiels de cette fête, figure la Magna Carta. Mais les fonctionnaires
britanniques hésitent parce que les sujets de l'Empire pourraient se révolter
et commencer à réclamer des «droits». Un administrateur britannique écrit alors
:
«Dans l’empire colonial,
Magna Carta pourrait être utilisée à des fins très différentes de celles que
nous désirons. Dans certaines colonies où les politiciens mal intentionnés sont
toujours à l’affût d’occasions pour déformer nos bonnes intentions, sa
célébration pourrait bien causer de l’embarras et, en général, il ya un danger
que les populations coloniales puissent s’enthousiasmer de manière peu critique
pour un document qu’elles n’ont pas lu en pensant qu’il contient des garanties pour
tous les soi-disant «droits» qu’elles pourraient exiger en ce moment.»
La Magna Carta a été utilisée pour justifier l’expansion impériale des Britanniques et non pour promouvoir la liberté en vertu du droit.
En somme, quelque chose de bien différent que ce voudraient faire croire de
nombreuses célébrations anglo-américaines de 2015.
On peut affirmer que la Magna Carta est devenue un instrument avant
et pendant la période coloniale.
Absolument et même
après ! L’idée que l’Empire britannique avait exporté les «libertés
britanniques» en Afrique et dans le monde entier a persisté jusque dans les
années 1960, même après l’indépendance de la plupart des colonies britanniques.
En 1965, une cérémonie a eu lieu à la cathédrale St Paul, à Londres, pour
commémorer le 750e anniversaire de la Magna Carta. Été invités les hauts-commissaires
du Commonwealth et les représentants des anciennes colonies devenues indépendantes
comme l’Ouganda. Sans ironie aucune - et en ignorant les cas où les libertés
civiles locales avaient été complètement ignorées par les impérialistes
britanniques - Pathé dans ses informations fait le lien entre les libertés de
Magna Carta et le projet impérial qui aurait exporté libertés et lois à
travers le monde. Le journaliste rapporte :
«Les bienfaits de
la liberté à laquelle la Grande Charte a donné une expression précoce ont voyagé
avec les hommes qui ont quitté nos rivages et semé les graines de la liberté
dans tout l’Empire. Et maintenant, l’Empire a cédé la place au Commonwealth des
nations indépendantes dont les représentants aujourd’hui sont venus remercier
la mère-patrie pour leur avoir transmis leurs libertés. Partout où la liberté
fleurit, les gens font référence à la Magna Carta car c’était la Grande Charte
... qui était la source de tout... De cet héritage, la Grande-Bretagne et le
Commonwealth sont reconnaissants.»
Ce texte du XIIIe siècle est donc constamment réinterprété
?
Oui et de manière
inattendue par des personnes comme Gandhi ou Mandela. Gandhi qui avait travaillé
en tant qu’avocat en Afrique du Sud avait ainsi qualifié l'Indian Relief Act de 1914 de «Magna Carta». Ce texte juridique
mettait fin à 8 années de désobéissance civile pour améliorer la situation des
populations indiennes d’Afrique du Sud.
Mandela, lui
aussi un avocat nourri à la common law
britannique, fait référence à la Magna Carta pendant son procès en 1964. Alors
qu'il pouvait être condamné à mort, il invoque la Grande Charte dans sa
plaidoirie contre l'apartheid : «La Magna Carta, la Pétition des Droits [sic] et la Déclaration des
Droits sont des documents qui sont vénérés par les démocrates dans le monde
entier.»
Dans le cas de
Gandhi comme celui de Mandela, les anciens sujets
de l'empire britannique s'approprient la Magna Carta contre le pouvoir en place. La Magna Carta, un traité
de paix entre le roi d'Angleterre et ses barons datant du XIIIe siècle, a ainsi complètement
changé de sens pour devenir un symbole de liberté et démocratie.