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Libération
TRIBUNE

Comment le génocide arménien peut-il faire encore débat ?

Le génocide des Arméniens, cent ans aprèsdossier
L’ambiguïté ou le refus unilatéral et sans équivoque, comme en Turquie, perdure au sein des grandes Nations de ce monde.
Membres de la communauté arménienne, le 24 avril 2014, à Jérusalem. (Photo : GALI TIBBON.AFP)
par Simone Rodan-Benzaquen, Directrice de American Jewish Committee Paris
publié le 24 avril 2015 à 16h31

En ce dimanche rouge du 24 avril 1915, le sort des «dhimmis» arméniens fut marqué à jamais par la barbarie. Plusieurs centaines d’intellectuels arméniens furent déportés dans des centres de rétentions de l’actuelle Turquie pour être massacrées. De cette solution finale ottomane, périront 1,5 millions d’Arméniens au cours des mois et des années suivantes.

Alors que nous commémorons aujourd’hui le centenaire du «Meds Yeghern», la reconnaissance de ce crime contre l’humanité comme étant un génocide fait toujours débat au sein de la communauté internationale.

Pourtant, comme le décrivait Sir Winston Churchill en 1929 dans «La crise mondiale» - de manière avant-gardiste une décennie avant l’invention du terme génocide par Raphael Lemkin pour décrire la Shoah - «Il ne fait aucun doute raisonnable que ce crime ait été planifié et exécuté pour des raisons politiques… Il s’est présenté une opportunité de nettoyer le sol turc d’une race chrétienne, implantée géographiquement entre musulmans turcs et caucasiens et opposée à toutes les ambitions turques, qui chérissaient des ambitions nationales qui ne pouvaient être satisfaites au détriment de la Turquie.»

Certes, quelques Etats et parlements ont suivi le pas de l’Uruguay, premier pays en 1965 à reconnaître le génocide arménien à l’instar du Parlement européen en 1987, de la Douma russe en 1995 ou, par exemple, de la Slovaquie, du Canada, de l’Argentine et des Pays Bas en 2004 ainsi que de la Pologne en 2005.

Cependant, l’ambiguïté ou le refus unilatéral et sans équivoque, comme en Turquie, perdure au sein des grandes Nations de ce monde.

C’est le cas des Etats-Unis où nous ne pouvons que déplorer leur énième refus de reconnaître le génocide arménien. En effet, en prévision des commémorations à venir, le Président Barack Obama a appelé à une reconnaissance «pleine, franche et juste» des «atrocités de 1915». Cette déclaration est d’autant plus regrettable que l’actuel leader du monde libre s’est renié sur la question. En effet, en tant que Sénateur lors de la campagne présidentielle de 2008, Barack Obama avait promis de «reconnaître le génocide arménien» qui «n’est ni une allégation, ni une opinion personnelle, ou un point de vue, mais plutôt un fait largement documenté soutenu par un ensemble de preuves historiques.» Il avait par ailleurs ajouté que «les faits {étaient} indéniables» et que «les États Unis méritaient un Président qui dise la vérité à propos du génocide arménien.»

Quant au gouvernement Israélien, qui malgré la présence de deux députés de la Knesset, Dr Nachman Shai et Anat Berko aux commémorations du centenaire à venir à Erevan, il serait souhaitable que ce dernier scelle dans le marbre les récents propos du Président Rivlin qui a déclaré : «Les nazis ont utilisé le génocide arménien comme quelque chose qui pouvait leur permettre de faire de l’Holocauste une réalité.»

Or la communauté internationale, et l’Etat juif, plus que quiconque, doivent s’exprimer clairement sur ce qu’a récemment qualifié le Pape François «de premier génocide du 20e siècle.»

En effet, c’est parce que l’on avait refusé de le condamner et d’en punir les auteurs, pendant l’entre-deux-guerres que l’idéologie nazie put faire de la «Nuit de Cristal» un illustre synonyme du dimanche rouge.

Ainsi, aucun pays ne devrait-il succomber à la pression politique – exercée par la Turquie dans ce cas présent – lorsqu’il est confronté à une question d’intégrité morale et d’exactitude historique. De même que ceux qui succombent aujourd’hui à la pression turque sur la question arménienne pourraient très bien succomber demain à la pression iranienne sur la négation de la Shoah.

En outre, reconnaître le génocide arménien est une condition impérative pour obtenir des possibles réparations. Cela est également essentiel pour que la communauté arménienne puisse entreprendre un processus de réconciliation avec la Turquie qui sera, bien évidemment douloureux comme ce fut le cas pour la communauté juive à la suite de la reconnaissance et de la condamnation de la Shoah, mais ô combien vital pour retrouver des relations saines avec son voisin.

Ainsi, les récents propos de la chancelière allemande Angela Merkel qui a déclaré que «le sort des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale est un exemple de l’histoire de meurtres de masse, de nettoyages ethniques, d’expulsions, et, oui, de génocide au cours du 20e siècle» doivent devenir une évidence pour les grands dirigeants de ce monde afin d’enclencher un processus de reconnaissance comme l’ont récemment entrepris le Bundestag allemand et le Parlement autrichien.

Enfin, si les déclarations du Président et du Premier ministre de la Turquie, qui ont adressé leurs condoléances aux Arméniens et reconnu les atrocités commises à leur égard sont louables, la Turquie, comme l’a justement rappelé le Parlement européen, devrait «saisir l’occasion propice offerte par la commémoration du centenaire du génocide arménien» pour «ouvrir ses archives», pour «poursuivre ses efforts de réconciliation avec son passé, pour reconnaître le génocide et pour poser ainsi les jalons d’une véritable réconciliation entre les peuples turc et arménien».

Car comme l’a écrit l’Ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Samantha Power, dans son livre récipiendaire du prix Pulitzer, A problem from Hell, lorsqu’elle était professeure à Harvard «Il faut faire face à l’histoire et aux exigences des consciences où nous sommes condamnés à des brutalités sans fin par les puissants contre les faibles.»