Propos recueillis
par Vincent Hiribarren
Questions à Tony Chafer, professeur d'histoire contemporaine à
l'Université de Portsmouth et spécialiste des relations franco-africaines. Il
intervient régulièrement auprès du Foreign
and Commonwealth Office. Tony Chafer est l'auteur, entre autres, de The end of empire in
French West Africa: France's successful decolonisation?
Comment
analysez-vous la décolonisation française en Afrique subsaharienne ?
La décolonisation
française en Afrique subsaharienne est souvent présentée comme la décolonisation
réussie de la France, tout spécialement quand on la compare à la décolonisation
en Indochine et en Algérie. Ce que cette expression signifie, c’est qu’il
s’agirait d’une «transition organisée de manière réussie» qui s’est produite
dans la plupart des cas dans le calme (à part au Cameroun) et sans violence.
Mon argument est qu’il s’agit là d’une reconstruction des événements a
posteriori sans grands liens avec les événements qui se sont réellement
produits. Il n’y avait pas de stratégie de décolonisation française murement réfléchie
pour l’Afrique subsaharienne.
Cependant, s’il
n’y avait pas de stratégie française clairement élaborée derrière ce transfert
de pouvoir relativement paisible, nous devons nous poser des questions sur les circonstances
historiques qui ont rendu cette transition possible. A mon avis, trois facteurs
expliquent ce phénomène. Premièrement, il faut souligner le rôle des
interactions entre politiciens français et africains qui partageaient certaines
valeurs et parlaient la même «langue» du développement et de la modernisation
et qui ont ainsi réussi à coopérer lors de la transition du pouvoir (des
dirigeants politiques d’Afrique subsaharienne ont été élus à l’assemblée nationale
sous la IVe République et dans certains cas sont même devenus ministres). La
culture politique française républicaine a joué un rôle important à cet égard.
Deuxièmement, la décolonisation était comme une lame de fond pendant ces années ; la plupart des
nations étaient en faveur de la décolonisation et le contexte international était
dans ce sens relativement peu important tant aucune intervention extérieure
n’aurait eu aucune chance de déstabiliser un processus déjà enclenché.
Finalement, nous
devons prendre en compte l’engagement continu des politiciens français pour une
présence française en Afrique subsaharienne après les indépendances, quelque
chose qui était vu comme essentiel pour le statut de la France en tant que
grande puissance et qui jouait un rôle fondamental pour assurer une transition
paisible. Bien entendu, ceci se trouve à l’origine d’autres problèmes pour le
futur, mais c’est une autre question.
Quelle est votre
lecture des relations franco-africaines sous la présidence Hollande ?
Pendant sa
campagne électorale, Hollande a très peu évoqué sa politique africaine, n'a
fait aucune promesse concrète et ne s'est pas rendu sur le continent. Ainsi,
lors de son élection en mai 2012, il ne disposait que d'un nombre limité d'idées sur le contenu de sa politique africaine : non-interférence dans les
affaires africaines, fin des pratiques de la Françafrique et refus de dialoguer
avec des dirigeants africains qui n'embrassaient pas les principes de la démocratie
et de la bonne gouvernance. Mais il n'avait pas défini de stratégie ou
politique africaine. Au delà de l'affirmation d'idées générales sur ce que la
France ne devrait pas faire, il n'y avait pas de stratégie définie clairement
qui puisse former la base d'une politique africaine cohérente.
De plus, il n’était
pas le premier président à promettre la fin de la Françafrique. Sarkozy avait
fait une promesse similaire avant son élection en 2007. À mon avis, la combinaison
entre une approche libérale et normative promouvant l’économie néolibérale, la démocratie
et la bonne gouvernance (portant déjà en elle un potentiel de contradictions et
d’incohérences) et l’échec de la réforme des institutions responsables de la
politique africaine signifient que la politique africaine de Hollande n’a pas
changé fondamentalement par rapport à celle de son prédécesseur. Le discours
politique a changé mais le contenu de la politique beaucoup moins.
Il n’y a toujours
pas d’alternative institutionnelle à l’ancienne «cellule Afrique» de l’Élysée
ce qui a pour résultat que la communauté en charge de la politique africaine
reste fragmentée. La responsabilité pour cette politique est partagée entre différents
acteurs, chacun ayant ses propres objectifs et cultures institutionnelles.
C’est le cas depuis la fin de la guerre froide et la situation n’a pas changé
sous la présidence de Hollande.
Le changement qui
s’est produit viendrait plutôt de la déconstruction de la Françafrique que de
la construction d’une alternative politique concrète. Si j’ai raison, cela pose
d’importantes questions sur la viabilité réelle de la nouvelle approche de
Hollande car il y a d importantes divergences entre tous les acteurs en charge
de la politique africaine que ce soit en termes de buts politiques, de priorités
ou sur la façon de dépenser les fonds limités pour mettre en œuvre une
politique africaine.
De nombreux
historiens britanniques et américains travaillent sur l’histoire des pays
francophones. Leur recherche diffère-t-elle de celle de leurs collègues
français ?
Ces dernières
années, je pense que la contribution la plus caractéristique de la part des
historiens britanniques et américains de l’Afrique francophone a été associée
avec ce qui est parfois appelé le «tournant colonial» dans les French Studies. L’un des éléments
principaux de ce «tournant colonial» a été le renouveau de la réflexion sur le
concept de «république» pour étudier l’histoire de France. Ces auteurs
explorent les contradictions entre les politiques progressistes appliquées en métropole
et les violences et discriminations caractéristiques de la situation coloniale.
Un autre apport
du «tournant colonial» est l'exploration de la présence du passé colonial dans
la France contemporaine sous des angles à la fois culturels et sociologiques.
Un exemple serait celui de la «colonie rapatriée» incarnée par les
administrateurs coloniaux formés dans un contexte colonial et «recyclés» en
France après 1960 pour participer à l'encadrement des populations immigrées
venues des anciennes colonies (voir à ce sujet Naylor, 2013). Cela ne veut pas dire que les historiens français
n'ont pas examiné cette dimension historique, mais ce sont les historiens
britanniques et américains qui, à mon avis, en ont été les pionniers.