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Blog «Annette sur le net»

«T'as un beau cul pour une journaliste», signé Coluche

Blog Annette sur le netdossier
Un métier à risques sur le front de la guerre des sexes ? Collections d'histoires parfois drôles et parfois moins drôles.
"Si j'étais président"... L'affiche de campagne du candidat Coluche aux présidentielles de 1981. (C'est Mitterrand qui a été élu)
publié le 6 mai 2015 à 9h15
(mis à jour le 6 mai 2015 à 16h04)

Grand splash dans la mare politico-médiatique: soudain une quarantaine de journalistes politiques protestent contre le harcèlement masculin qu’elles subissent - dans les couloirs de l’Assemblée, les vestibules du pouvoir, les avions, les restaurants et autres terrains professionnels.

Tout le monde en parle. Une révolte contre des mots, des gestes désagréables, à côté de la publication le même jour des témoignages des rescapées des tortures de Boko Haram… Et moi qui avais depuis longtemps l'intention d'intituler mon futur livre de souvenirs journalistiques T'as un beau cul pour une journaliste ! (Coluche) je risque de passer pour une collabo (moi qui ai la légion d'honneur du féminisme, la médaille d'une co-fondatrice du MLF, le prix des premiers articles du mouvement des femmes etc.)

Coluche annonce sa candidature à l’élection présidentielle lors d’une conférence de presse le 30 octobre 198, au théâtre du Gymnase. Photo : Michel Clément / AFP

Je m'accroche: le livre, s'il est un jour fini, s'appellera, je l'espère, «T'as un beau cul pour une journaliste ! (Coluche)» Parce qu'aujourd'hui cela me fait rire. Du rire aussi grinçant que celui du regretté Edward Behr, mon idole, célèbre correspondant de guerre à l'ancienne, qui a arpenté tous les fronts, de l'Indochine au Congo en passant par l'Algérie et le Vietnam, et l'Irlande du Nord, pour la BBC, Time Magazine, Newsweek. Il avait sorti l'un des plus beaux livres sur le métier de journaliste : Anybody here been raped and speak English ? où il raconte des histoires de journalistes toutes vraies, tragiques et parfois hilarantes. Edward Behr se trouve à l'aéroport au Congo, en novembre 1964, où arrivent des réfugiés européens qui fuient Stanleyville et il entend une équipe de télé hurler dans la foule : «Qui a été violé et parle anglais ? » En France Robert Laffont publiera le livre (Y a-t-il ici quelqu'un qui a été violé et qui parle anglais ?, 1978) mais aux Etats-Unis l'éditeur changera le titre du best-seller, il n'a pas l'humour anglais…

Grosse machine et grosse cassette

Alors flash-back sur Coluche et la journaliste (moi). C’était au Moyen-Age, disons-le, à la fin du vingtième siècle, quand la France s’apprêtait à virer à gauche, mais ne le savait pas. En pleine campagne présidentielle avec le président sortant, Giscard d’Estaing, et le challenger François Mitterrand (personne ne pariait un franc sur lui). En 1981. Le mec le plus populaire de France, Coluche, annonce qu’il est candidat à la présidence. Tout le monde se marre, sauf lui, qui peut être sérieux. Il l’a montré avec les Restaurants du Cœur. Il pense qu’il faut se battre pour ses idées et il y va. Comme ce n’est pas une candidature «respectable», c’est évidemment moi qu’on envoie interviewer le clown pour Libé de l’époque. D’ailleurs c’est comme cela qu’on m’avait aussi envoyé, l’année précédente, suivre le candidat Ronald Reagan (autre saltimbanque qui n’avait aucune chance) pendant que les journalistes (masculins et compétents) allaient suivre Jimmy Carter, le démocrate. Manque de bol, c’est Reagan qui a gagné, et moi qui étais en direct de Los Angeles ce soir-là. Les éminents analystes de Libération n’ont pas hésité à prédire «lune troisième guerre mondiale». Ce n’était pas pour tout de suite.

Donc, j’arrive à midi chez Coluche munie d’un magnétophone paléolithique, grosse machine avec grosses cassettes. Le comique habite alors dans le Marais et, visiblement, la nuit a été chargée. Il est en pyjama, gueule de bois et cheveux encore plus hirsutes qu’à l’accoutumée. Il s’écrase dans un canapé devant un océan de mégots (on fumait encore, chers enfants) et de bouteilles vides.

Silencieux. Je pose le magnéto au milieu des mégots et autres débris. Je m’apprête à poser la première question sur la campagne, et pourquoi il y va, et pense-t-il que ça sert à quelque chose, et autres clichés quand j’entends une voix sortir du canapé: «Dis-donc, t’as un beau cul pour une journaliste».

Je me souviens très précisément du pantalon en cuir noir que je portais alors, mon préféré. Je regarde le mec - que j’admire totalement - et je ne dis rien, parce qu’il n’y a rien à dire. Je reprends le magnéto et je dis «au revoir.» Je n’ai jamais interviewé Coluche mais finalement ce n’était pas l’interview du siècle.

Et quand j’y pense, je revois aussi le député de l’ultra-gauche israélienne, figure morale et donneur de leçons, que je devais également interviewer, dans son hôtel, parce que les parlementaires habitent à l’hôtel pendant les sessions de la Knesset, quand ils ne sont pas de Jérusalem. Après avoir commandé un double whisky il croit que je ne suis pas dans sa chambre d’hôtel pour l’interviewer, et il me saute dessus. Encore une fois je remballe mon magnéto et claque la porte, furieuse. Pas d’interview, l’homme politique est déçu.

Après trente et quelques années de journalisme, j'ai plein d'autres anecdotes, certaines plus drôles que d'autres. Le député israélien n'était pas drôle, border line, tendant vers l'agression physique. En revanche j'étais écroulée de rire quand, envoyée faire un petit reportage dérisoire à la Coupole le jour de la mort de Sartre, le 15 avril 1980, j'aperçois, au fond de la salle, le formidable Jean-Pierre Léaud, l'acteur culte de Truffaut, qui mange tranquillement avec une copine. Je l'approche avec délicatesse, pensant qu'il est en état de choc, aujourd'hui, à La Coupole, où Sartre déjeunait régulièrement. Je lui pose la question. Et j'ai une réponse à la Coluche: «T'as de beaux seins» (pour une journaliste, pense-t-il).

Cette fois j’ai glissé sa réponse dans le papier fleuve sur la mort de Sartre. L’expérience n’était pas inutile.

Je pourrais continuer à raconter d'autres histoires de journaliste, mais ce sera pour mon livre, que j'espère drôle, T'as un beau cul pour une journaliste. (Coluche).