Le président Susilo Banbang Yudhoyono (à gauche), le secrétaire des Nations Unis Kofi Annan (au centre) et le président d'Afrique du Sud Thabo Mbeki lors du 60° anniversaire de la conférence de Bandung, le 24 avril 2005. Photo Adek Berry AFP
L’esprit de Bandung
Le ministre des Affaires étrangères de Chine populaire, Zhou Enlai, reçu par le Premier ministre indonésien, Aly Sasto-Amidjojo, le 18 avril 1955, lors de son arrivée à la conférence de Bandung. AFP
Les représentants politiques du Maghreb ne sont pas en reste puisque Salah Ben Youssef (Tunisie), Hocine Aït Ahmed (Algérie) et Allal el Fassi (Maroc) font reconnaitre à Bandung le droit de leur pays à l'indépendance. En Algérie particulièrement, le FLN s'est servi de la conférence comme d'un tremplin pour faire reconnaitre sa cause à une échelle internationale ce qui a largement contribue à sa victoire finale selon l'historien Matthew Connelly. Malgré leurs fortes divergences politiques, les représentants des pays participants ont souligné ainsi leur opposition au colonialisme et ont apporté leur soutien au «memorandum maghrébin». C'est ce fort sentiment anticolonial qui va d'ailleurs être l'un des principaux héritages de Bandung.
«Le début de la fin de la suprématie de la race blanche»
Il se retrouve en Afrique subsaharienne et tout particulièrement au Ghana. NKrumah, qui n'a jamais assisté à la conférence malgré une légende tenace, a aussi utilisé Bandung comme modèle pour son panafricanisme. Ainsi après avril 1955, pour lui, l'Afrique doit être unie plus que jamais pour mieux faire face aux appétits occidentaux. Une dimension raciale existe alors dans ce discours puisqu'à la solidarité entre États d'Asie et d'Afrique doit s'ajouter celle de l'Amérique latine. Pour Nkrumah, l'«esprit de Bandung» doit se répandre parmi toutes les nouvelles nations afin de favoriser un non-alignement mais aussi une entraide réelle entre Africains. Nkrumah reniera plus tard son non-alignement mais jamais la coopération interafricaine.
C'est cet «esprit de Bandung» qui est aussi l'une des conséquences principales de cette conférence. Même si de manière pratique, l'Asie était au centre des préoccupations des dirigeants présents en Indonésie, l'«esprit de Bandung» incarnait la nécessité d'une entraide collective parmi les pays du «Tiers-Monde». Bandung, au-delà de son impact réel devient donc synonyme de coopération entre anciens colonisés. L'expression vague d'«esprit de Bandung» sert donc à justifier différents projets de coopération entre pays asiatiques et africains qui vont au delà du tiers-mondisme. Ainsi, d'un point de vue économique, Bandung, à tort ou à raison selon différents auteurs, est considéré comme l'ancêtre des zones de libre-échange en Asie ou en Afrique.
De manière frappante, la conférence de Bandung était perçue par ses contemporains comme un jalon historique. Ainsi, le commandant Rousset des services secrets français écrivait en 1955 que Bandung était le «début de la fin de la suprématie de la race blanche». Pour les peuples colonisés (ou ayant obtenu leur indépendance récemment), Bandung s'ajoutait à une chronologie prestigieuse de conquêtes des libertés et n'était que le prolongement logique de la Charte de l'Atlantique de 1941 et de la création de l'Organisation des Nations Unies en 1945. Dans cette vision de l'histoire, Bandung devient donc le précurseur du mouvement des non-alignés créé à Belgrade en 1961. En dépit de ces objectifs et résultats, Bandung a été re-imaginé au sein d'une grande épopée postcoloniale de conquête de la liberté. Bandung est à ranger parmi les événements à forte valeur symbolique ajoutée.