Questions à Jan Jansen, maitre de conférences à l'Université de Leiden et spécialiste du Mali. Jan Jansen vient de publier un nouvel article sur l'histoire de l'empire du Mali dans The Journal of West African History (que vous pouvez lire gratuitement sur la page d'accueil de son université, avec l'aimable autorisation du JWAH).
L’empire du Mali a une très longue histoire. Quelles sont ses caractéristiques?
L'empire du Mali a prospéré pendant les XIVe et XVe siècles et recouvrait une grande partie de l'Afrique de l'Ouest. Il doit sa célébrité à la richesse de ses rois comme Mansa Moussa qui était considéré comme l'homme le plus riche de l'histoire de l'humanité. La source de sa richesse économique de l'empire était son or - avant que les Amériques ne soient «découvertes», la plupart de l'or européen provenait d'Afrique de l'Ouest. L'organisation sociale et politique de l'empire est peu connue, mais nous savons par les récits des voyageurs arabes des XIVe et XVe siècles que les rois du Mali se réclamaient de la descendance de Soundiata Keita. Encore aujourd'hui, l'histoire de la fondation du Mali par Soundiata Keita est le méta récit historique pour les actuels Malinkés (Mali-nkés), les populations vivant dans le sud-ouest du Mali et le nord de la Guinée. Ce méta récit transmis oralement a acquis une reconnaissance dans les livres d'histoire sous le nom d'épopée de Soundiata Keita. Les Maliens d'aujourd'hui - qui choisirent le nom de leur pays en 1960 d'après le grand empire du Mali - sont très fiers d'être les héritiers d'un patrimoine immatériel avec une si longue histoire !
Beaucoup d’historiens pensent que l’empire du Mali s’est effondré à partir du XVIe siècle. Cela est-il vraiment le cas ?
Mon article rejette rigoureusement l'image de la désintégration de l'empire du Mali au début du XVIe siècle. Je fonde mon argumentation sur des sources négligées jusqu'ici. Alors que les historiens ont toujours mis l'accent sur des sources écrites, j'adopte une approche plus intégrale, à commencer par l'étude des paysages. Quand j'étais étudiant spécialisé en histoire médiévale, j'étais particulièrement sensible à l'école française des Annales (Bloch, Braudel, Le Roy Ladurie) et son approche anthropologique. Maintenant, trois décennies plus tard, je vois que je suis capable de transférer cette approche dans la savane africaine. Depuis 1988, je travaille dans la région au sud de Bamako, qui est la région où les rois du Mali avaient bâti leur fief politique selon les traditions orales. J'ai appris à connaître les paysages en les parcourant pendant des années à vélo ; vous pouvez appeler cela une interprétation néerlandaise de la méthodologie de l'école des Annales ! Petit à petit, j'ai appris l'histoire de la fondation de chaque village, des revendications territoriales, des stratégies militaires, des stratégies d'habitation, d'architecture des fortifications, des cachettes, et enfin et surtout, l'histoire des mines d'or. En même temps je trouvais que beaucoup de détails des traditions orales sur Soundiata Keita faisaient référence à l'organisation de l'armée et la défense de la zone pour la période 1600-1850. Cette expérience accumulée au fil des années m'a permis de reconstruire l'histoire de l'organisation militaire et politique bâtie autour de la ville de Kangaba, à 100 kilomètres au sud de Bamako. Je démontre qu'à 50 kilomètres au nord de Kangaba une zone de défense a été construite située exactement au nord des mines d'or. Ainsi, cette zone de défense protégeait la source de la puissance économique de Kangaba, qui était la même source que celle de l'empire du Mali. Elle a fonctionné avec succès pendant environ deux siècles avant de céder sous le feu de l'armée française.
Mineur du sud du Mali en 2011 (Nienke Muurling)
Votre article accorde une place particulière au rôle joué par Kangaba. Pouvez-vous en dire plus sur cette ville qui se trouve aujourd’hui dans le sud-ouest du Mali ?
Aujourd'hui, la cérémonie de Kamabolon et la soi-disant «charte» de Kouroukan Fouga sont très populaires, et ont même gagné la reconnaissance de l'UNESCO qui les a inscrites sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Cette cérémonie et cette charte doivent beaucoup de leur prestige et de leur attrait idéologique à leur lien avec Soundiata Keita, les rendant ainsi «médiévales», «séculaires» et «authentiques» dans l'imaginaire populaire. Mon analyse de Kangaba pour la période 1600-1850, cependant, démontre (implicitement) que ce que l'histoire orale estime remonter à plusieurs siècles fait en fait référence à une histoire beaucoup plus récente. Ainsi, quand j'avance que l'empire du Mali ne s'est pas effondré après 1500, je mets en doute l'énorme prestige rencontré par les traditions orales sur Soundiata Keita au Mali et en Guinée. Par conséquent, je pense que les historiens au Mali et en Guinée ne vont pas apprécier mon article tant il est inopportun du point de vue politique ou de celui des identités locales de toucher au passé des grands empires d'Afrique de l'Ouest.