Pour Jean Arthuis (UDI),
président de la commission des budgets du Parlement européen, l’annulation
d’une partie de la dette grecque est inévitable. Celui qui fut le ministre des
finances français (95-97) qui a négocié le Pacte de stabilité, analyse, pour
Libération, une crise grecque qui n’en finit pas.
Pourquoi les
négociations avec la Grèce s’éternisent-elles ?
Il faut bien comprendre
que, quel qu’ait été le gouvernement issu des élections du 25 janvier, la
négociation actuelle aurait eu lieu : si la Grèce veut toucher les 7,2
milliards d’euros promis par la zone euro et le Fonds monétaire international,
elle doit s’engager à mener davantage de réformes. La précédente majorité
dirigée par le conservateur Antonis Samaras avait d’ailleurs échoué à se mettre
d’accord avec ses créanciers et c’est en partie à cause de cet échec que des
élections législatives anticipées ont été organisées. Or, le gouvernement
d’Alexis Tsipras persiste à refuser une partie des réformes demandées, les plus
douloureuses, parce qu’il veut appliquer le programme sur lequel il a été élu.
Le problème est qu’il n’en a absolument pas les moyens : il doit
comprendre que ce n’est pas aux Européens de financer les dépenses publiques de
l’État grec en lui prêtant de l’argent sans limites et sans condition. Ainsi,
ramener la retraite à 60 ans alors que son système est déjà déficitaire, c’est
faire financer la retraite des Grecs par les autres citoyens européens qui,
eux, doivent parfois travailler jusqu’à 67 ans et plus. C’est évidemment
inacceptable ! Surtout, Tsipras doit réaliser que ces réformes ne sont pas
exigées pour punir ou humilier la Grèce, comme on l’entend parfois : il
s’agit de remettre le pays durablement sur les rails de la croissance. À ce
moment-là, il retrouvera des marges de manœuvre budgétaires qui lui permettront
de faire davantage pour son peuple. Le Premier ministre grec commence à
réaliser qu’il va devoir en passer par là. Mais ce processus est laborieux et
c’est dangereux pour l’ensemble de la zone euro.
Certains affirment que
c’est la zone euro qui est responsable des problèmes grecs.
Il n'y a aucun
acharnement malveillant dans ce qui se passe : il faut, zone euro ou pas,
que le budget grec soit à l'équilibre puisque les marchés refusent de lui
prêter de l'argent. On qualifie cette politique d'austéritaire, mais ça n'a
aucun sens. Quand une entreprise est proche de la faillite, on prend des
mesures de redressement, notamment en coupant dans ses dépenses et ses
effectifs... La conséquence de cet ajustement a certes été une baisse de près
de 30 % de son PIB qui est revenu à son niveau du début des années 2000.
Mais la période 2001-2008 a été une bulle : l'État a financé à crédit
des augmentations de salaire, des embauches de fonctionnaires, des travaux
publics, etc.. Si la Grèce était restée hors de la zone euro, elle n'aurait
simplement pas connu cette bulle et son PIB ne serait pas plus élevé qu'il ne
l'est aujourd'hui. Et il faut bien avoir conscience que si la Grèce sortait
maintenant de l'euro, elle connaitrait le sort que connaît l'Argentine depuis
2002, lors de la rupture de la parité fixe entre le dollar et le peso et du
défaut qui a suivi, sans les matières premières et les capacités exportatrices
de ce pays…
Comment se sortir de
cet imbroglio grec ?
La réalité est en train
de s’imposer au gouvernement Tsipras. Les citoyens grecs ont arrêté de payer
leurs impôts fonciers, car Syriza avait imprudemment promis qu’il allait les
abroger, les comptes publics se sont dégradés au point que le gouvernement aura
du mal à maintenir l’équilibre primaire (hors charge de la dette), la fuite des
capitaux prend des proportions inquiétantes et la croissance économique qui
devait atteindre 2,4 % en 2015 est désormais proche de zéro. Ma conviction est
qu’on va finir par trouver un accord. Il faut y arriver parce que si les Grecs
en sont là, c’est aussi en partie de notre faute.
Pourquoi ?
Les Européens ont été
irresponsables d’admettre ce pays dans la monnaie unique en
2001 essentiellement parce qu’on ne pouvait pas claquer la porte de la
zone euro au nez de Platon ! Cela a été une faute politique majeure alors que
tout le monde savait que la Grèce n’était pas un État fonctionnel et qu’elle
mentait sur l’état réel de ses comptes publics. Une fois admise, on aurait pu
au moins la surveiller comme on surveille le lait sur le feu, ce qu’on n’a pas
fait au nom du respect de la souveraineté nationale. Cet aveuglement s’explique
en partie par le fait que les pays européens, et notamment la France et
l’Allemagne, y trouvaient leurs comptes : ils exportaient massivement vers
la Grèce sans se préoccuper de savoir comment ces dépenses figureraient dans
ses comptes publics. Si elle était surendettée, ce qui l’a conduit au défaut de
paiement, c’est parce qu’en face il y avait des surcréanciers… On n’a
alors pas eu d’autre choix que d’aider la Grèce, à la fois pour éviter des effets
systémiques sur le reste de la zone euro, mais aussi pour que les créanciers
privés (banques, assurances, entreprises) ne se retrouvent pas seuls à gérer un
défaut de paiement. On a en fait transféré le mistigri des banques aux États.
La Grèce remboursera-t-elle
sa dette ?
Il faut être réaliste.
D'ici 2023, date à partir de laquelle la Grèce est censée commencer à
rembourser les intérêts de sa dette vis-à-vis du Mécanisme européen de
stabilité et des États de la zone euro, ses créanciers auront déjà inscrit en
perte leur créance sur la Grèce. Il ne faut pas se faire d'illusion sur la
capacité qu'auront les Grecs - et d'autres pays d'ailleurs -à rembourser leurs
dettes. Ce qui est en train de se passer est une restructuration implicite.
Personne ne le
reconnaît pour l'instant…
Car il faut
garder un moyen de pression sur la Grèce ! Elle doit assumer ses
responsabilités et moderniser son Etat afin d’éviter de répéter les erreurs du
passé. A cet égard, les membres de la zone euro doivent aussi tirer les leçons de
la crise. Le pacte de stabilité et de croissance n’est pas une politique, il
n’est qu’un règlement de copropriété. C’est dire l’urgence d’un véritable gouvernement
économique et financier, dirigé par un président à temps plein, disponible
et non suspect de conflits d’intérêts, prenant appui sur un
véritable Trésor européen, dans l’attente d’un budget et d’une chambre de la
zone euro. Cet embryon de fédéralisme européen implique, bien sûr, que l’on
révise les traités.
N.B.: entretien paru dans Libération du 11 mai