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Blog «Africa4»

Le premier coup d’État au Burundi (18 octobre 1965)

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Éclipsé bien souvent au profit de son voisin rwandais, le Burundi n’en a pas moins connu une histoire politique agitée : le premier coup d’État y est survenu en 1965. Toutefois, tous ces coups d’État ne sont pas comparables et n’engagent pas les mêmes ressorts politiques.
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publié le 17 mai 2015 à 22h54
(mis à jour le 21 mai 2015 à 10h03)

Timbre commémoratif de l’indépendance du Burundi, à l’effigie du mwami Mwanbutsa IV

Par Jean-Pierre Bat

Ancienne colonie belge, le Burundi accède à l’indépendance en 1962, en même temps que son voisin rwandais, dans un contexte tendu. À la différence du Rwanda, érigé en République à l’indépendance, le Burundi est une monarchie, dirigée par le mwami Mwanbutsa IV, qui est Tusti. D’une part, la guerre civile (étape de la guerre froide) qui se joue au Congo déborde sur les pays voisins: Bujumbura devient notamment une base d’appui chinoise pour l’assistance au rebelles lumumbistes du Kivu. D’autre part, la vie politique intérieure du Burundi est extrêmement tendue et les rapports de forces politiques s’avèrent particulièrement ethnicisés entre Hutu et Tutsi, sur les cendres de la colonisation belge. Après une valse ministérielle où s'épuisent les Premiers ministres (l’un d’entre eux est même assassiné) et qui conduit le mwami Mwanbutsa IV à gouverner par décrets début 1965, les élections de mai 1965 donnent la majorité à l’Uprona (mouvement nationaliste et royaliste). Deux tiers des députés sont cependant des Hutu, conscients de leur force dans un contexte de sur-identification ethnicisante et de construction identitaire : les Hutu Burundais ont à l’esprit la révolution opérée par les Hutus au Rwanda avec l’instauration d’une république qui a renversé le mwami Kigeli V, également Tutsi. Dans ces circonstances, la nomination au poste de chef de gouvernement de Léopold Biha, prince Tutsi, est vécu comme l’argument déclencheur de la crise politique.

Gervais Nyangoma, candidat Hutu malheureux au poste de Premier ministre, et Antoine Serukwavu, secrétaire d'État à la Gendarmerie, appuyés par plusieurs officiers, procèdent à un coup d'État le 18 octobre 1965. Le mwami Mwanbutsa IV est déposé et s’enfuit. Il mourra en exil une décennie plus tard. Les troubles se poursuivant au lendemain de ce coup d'État, la situation dégénère. Inquiétés par les premiers massacres de paysans Tutsi, des officiers Tutsi et l'élite Tutsi décident de reprendre en main la situation. Ils procèdent à la répression du coup d'État, sous la houlette du capitaine Tutsi Michel Micombero qui va s’imposer comme l’homme fort du pays. En 1966, en quelques mois, ce dernier s’empare du pouvoir avec l’appui d’un clan sécuritaire : après avoir installé le fils du roi Mwanbutsa sur le trône sous le nom de Ntare V en juillet, il le dépose en novembre suivant et proclame la Iere République.

Colonel Michel Micombero

Jean-Pierre Chrétien, dans son ouvrage L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire (Paris, Flammarion, 2000), souligne que « les ressorts et les acteurs de cette transition sont multiples : pression de la jeunesse estudiantine (...) ; officiers (...) ; jeunes licenciés des universités européennes (...) ; intrigues de Jean Ntirhuwama (...) qui se voulait l'émule de Grégoire Kayibenda (président Hutu du Rwanda). Mais la faction dont le rôle s’avéra de plus en plus décisif dans la conduite de la nouvelle République se définit par son origine régionale : le groupe de «groupe de Bururi», issu du sud du pays. Cette région pauvre et peu favorisée sur le plan scolaire avait fourni beaucoup de militaires. Cette politique de revanche, à la fois régionale et ethnique, fut incarnée par Arthémon Simbbanaiye (...) qui se retrouva rapidement à la tête de la justice burundaise. »

Une ambiance délétère se développe, marquée par un tour de vis sécuritaire de plus en plus sévère. Une série de véritables purges se met en place à partir de 1969 dans les sphères civile et militaire : les premiers visés sont des officiers et leaders politiques Hutu ; à partir de 1971, les cibles sont élargies aux « royalistes », c’est-à-dire aux élites Tusti libérales. La situation se dégrade, puis dégénère : survient en 1972 l'ikiza (le fléau). Organisée par des leaders Hutu réfugiés en Afrique de l’Est, une rébellion Hutu explose dans le sud du Burundi, fin avril 1972 ; les Tutsi sont pris pour cible. Les victimes de ces massacres sont évaluées à plus de 100 000 personnes et 200 000 réfugiés au Rwanda et en Tanzanie. Le traumatisme est tellement profond que, pour le décrire, Jean-Pierre Chrétien intitule son livre sur le sujet : 1972. Au bord des génocides (Karthala, 2007). Un terme sera mis au régime du colonel Micombero en 1976, par le coup d'État du colonel Jean-Baptiste Bagaza, qui sera à son tour renversé, en 1987, par le commandant Pierre Buyoya en fonction jusqu’en 1993.

Toutefois, il convient en conclusion de souligner une grande différence entre 1965 et 2015, qui témoigne de l'évolution de la construction de l'État : en 2015, le ressort fondamental du coup d'État est d’essence politique, certainement pas identitaire comme en 1965. Le putsch du 13 mai est censé être une réponse au coup d'État constitutionnel du 25 avril, par lequel Pierre Nkurunziza entend forcer la constitution pour briguer un troisième mandat. C’est bel et bien la question du pouvoir personnel de Nkurunziza qui est au centre de la crise. A l’heure où l’horizon politique africain entend être «plafonné» à deux mandats présidentiels. Mais si les situations ont évolué et que l’histoire ne se répète pas, reste que, depuis 1965, l’armée constitue un élément essentiel, sinon la clé, de l'équilibre politique du Burundi, ainsi que le montrent l’action du général putschiste Godefroid Niyombare, ex-chef des renseignements, ou la reprise en main énergique des forces de sécurité par Pierre Nkurunziza dans les jours qui suivent le putsch.