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La pilule a du mal
à passer, mais elle devrait passer : même si « l’enthousiasme des États
membres pour partager l’effort que nous demandons n’est pas
époustouflant », comme l’a noté récemment Jean-Claude Juncker, ils
devraient accepter d’ici le mois de juillet le principe d’une répartition
obligatoire entre eux du traitement des demandes d’asile. Placés devant leurs
responsabilités par un président de la Commission décidément très offensif, et
les États de la « ligne de front », comme l’Italie et la Grèce,
débordées par l’afflux de migrants et de réfugiés, une majorité d’États membres
semble se rallier à ce mécanisme même s’ils en pinaillent les modalités, comme
l’a montré, mardi 16 juin, un conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice
réuni à Luxembourg.
Mieux :
l’Irlande et le Danemark, qui bénéficient pourtant d’une dérogation dans le
domaine de l’immigration et de l’asile (comme la Grande-Bretagne) seraient
aussi prêts à participer à l’effort commun, tout comme la Suisse, la Norvège et
le Liechtenstein, membres de l’Espace Economique Européen (EEE). En revanche,
les pays d’Europe de l’Est, Pologne en tête, ainsi que l’Espagne (davantage
devant les caméras que devant ses partenaires) continuent à s’opposer à ce que
mécanisme ait un caractère obligatoire.
Un égoïsme national
difficile à comprendre alors que la proposition de la Commission est pour le
moins limitée : elle ne concerne que les demandeurs d’asile et non les
migrants économiques et ne s’applique qu’à deux nationalités, les Syriens et
les Érythréens, soit 40.000 personnes en tout (26 000 transférés
d’Italie et 14 000 de Grèce). Une goutte d’eau comparée aux 219.000
personnes arrivées dans l’Union en 2014 qui sont eux-mêmes une toute petite
goutte d’eau au regard des 500 millions d’Européens : 0,0004 % de la
population de l’Union a ainsi calculé le Canadien François Crépeau, le
rapporteur spécial de l’ONU pour les droits des migrants. Celui-ci a d’ailleurs
plaidé, lundi à Genève, pour une plus grande ouverture des frontières de
l’Union en comparant la politique actuelle des États européens aux fiascos de
la « guerre contre la drogue » ou de la « prohibition de
l’alcool aux États-Unis dans les années 20 »…
Surtout, il n'est
nullement question d'obliger les États à accorder l'asile, ce qui reste encore
une prérogative nationale, mais tout simplement de les contraindre à examiner
un certain nombre de dossiers de demandes d'asile afin de ne pas laisser toute
la charge à la Grèce et à l'Italie. Autrement dit, chaque pays restera libre
d'accorder ou non l'asile et le séjour. Un premier tri sera effectué dans le
pays de premier accueil afin d'écarter les dossiers qui relèvent clairement de
la migration à but économique. La répartition se fera ensuite entre les États
selon une clef calculée à partir de trois critères : PIB (40 %),
population (40 %), taux de chômage (10 %) et nombre de demandes
d'asile déjà enregistrées (10 %). Ainsi, l'Allemagne devrait accueillir
21,91 % des 40.000 demandeurs d'asile syriens et érythréens, soit 8763
personnes, la France 16,88 %, soit 6752 personnes, l'Espagne,
10,72 %, soit 4288 personnes, la Pologne 6,65 %, soit 3310, etc. Les
demandeurs qui n'obtiendraient pas l'asile devront être reconduits à la
frontière.
Cette clef sera
sans doute être modifiée afin de tenir davantage compte des efforts déjà
accomplis, comme le réclament l’Allemagne et la France, ce que la Commission
est prête à accepter. Mais la mauvaise volonté des pays d’Europe de l’Est, qui
accueillent pourtant très peu de réfugiés (en dehors de la Hongrie, totalement
débordée), pose un vrai problème : peut-on les contraindre à accepter sur
leur sol des demandeurs d’asile dont ils ne veulent pas ? Qui les
acheminera dans ces pays et comment seront-ils traités ? La répartition
obligatoire du traitement des demandes d’asile pourrait, au final, ne concerner
que les pays volontaires pour jouer le jeu…
Libre à l’Espagne
et aux pays d’Europe de l’Est d’assumer politiquement et diplomatiquement leur
égoïsme national, eux qui ont pourtant su si bien profiter de la solidarité
européenne pour rattraper leur retard économique… « Il s’agit de respecter
les droits de l’homme », leur a rappelé le 4 juin dernier Jean-Claude
Juncker : « celui qui pour des raisons économiques quitte son pays,
celui qui pour des raisons politiques quitte son pays, a droit au respect de sa
dignité propre. Il s’agit de l’idée que nous nous faisons de l’Homme (…). La
Commission ne changera pas d’avis en dépit de la résistance et de l’opposition
de certains États membres ».
N.B.: article paru dans Libération du 18 juin