Propos recueillis par Vincent Hiribarren
Questions à Dorothée Boulanger, doctorante en histoire à King's College London et spécialiste de
l'histoire de la littérature lusophone africaine.
De son vrai nom José Mateus Vieira da Graça,
il est né au Portugal en mai 1935 et a émigré avec sa famille quelques années
plus tard en Angola, alors colonie portugaise. A Luanda, la capitale, il vit dans
les musseques (du kimbundu, l’une des
langues parlées dans la région de Luanda, « mu seke », sable rouge), des
zones d’habitat précaire, situées en marge de la ville coloniale, qui
accueillent une population extrêmement diversifiée, des Africains venus des
régions rurales aux Portugais modestes arrivés massivement dans les années 1940
et 19450, en passant par les familles de l’ancienne élite métisse de Luanda.
Au début des années soixante, le refus du
Portugal de Salazar de donner l’indépendance à ses colonies africaines conduit
au déclenchement de plusieurs guerres de libération. José Luandino Vieira, lui,
prend fait et cause pour l’indépendance de l’Angola, ce qui lui vaut d’être
arrêté par la police politique portugaise, d’abord en 1959, puis en 1961. A
tout juste vingt-six ans, l’écrivain est condamné à quatorze ans
d’emprisonnement et de travaux forcés, et est transféré en 1964 au camp de
Tarrafal de Santiago au Cap Vert (une autre colonie portugaise) où il reste
jusqu’à son placement en résidence surveillée à Lisbonne en 1972. Quand l’Angola
devient enfin indépendante, en 1975, Luandino a quarante ans. Il rejoint le
régime du MPLA (le Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola) et prend
la tête de la télévision publique. Il devient également le secrétaire général
de l’Union des Écrivains Angolais, une
association créée par l’État indépendant chargée de promouvoir la culture
nationale d’Angola à travers l’œuvre de ses écrivains. [ José Luandino Vieira ]
Comment caractériser son œuvre ?
La plupart de ses « estórias »
(nouvelles) prennent place dans les musseques
de Luanda. À travers la description de la vie quotidienne dans ces quartiers
périphériques et négligés, Luandino tire à boulet rouge sur la propagande
coloniale : il montre la pauvreté des habitants, l'arbitraire et la
violence de l'État colonial, mais aussi la solidarité et le dynamisme culturel
de ces quartiers, qui deviennent les centres névralgiques de la nouvelle
identité culturelle angolaise au carrefour des cultures portugaise et africaine. L'écriture
même de Luandino devient le symbole le plus éclatant de la vitalité des
musseques : reproduisant la syntaxe kimbundu, utilisant de nombreux mots
kimbundu et empruntant largement à la tradition orale, Luandino Vieira transforme
profondément la langue portugaise, et devient une source d'inspiration majeure
pour le écrivains angolais. Le potentiel subversif de sa créativité est vite
perçu par les autorité coloniales : si son recueil de nouvelles Luuanda obtient
un prix littéraire prestigieux au Portugal en 1963, il est dans la foulée
interdit par les autorités. Comme la quasi totalité de son œuvre, Luuanda (São Paulo: Atica, 1982) a été écrit en prison, ce qui
renforce encore sa dimension politique.
Interview de José Luandino donnée (en français) à
Bernard Pivot en 1987.
Après l’indépendance, occupé par ses
responsabilités au sein de l’administration angolaise, Luandino n’écrit plus. Son
œuvre, un des exemples les plus frappants de littérature engagée, illustre
l’étroitesse des liens entre culture et nationalisme en Angola. Paradoxalement,
cela explique peut être pourquoi une fois le rêve de l’indépendance concrétisé,
l’écrivain pose la plume, alors que l’Angola s’enfonce dans la guerre civile,
la pauvreté et l’autoritarisme. En 1992, lorsque les premières élections
démocratiques aboutissent à la reprise massive du conflit armé, Luandino, alors
âgé de cinquante sept abandonne la vie publique, et l’Angola. Il repart au
Portugal, d’où il a, depuis, publié les deux premiers volumes d’un triptyque
intitulé Des fleuves anciens et des
guérilleros,
en 2006 et 2009.
Vieira, José Luandino. Luuanda. São Paulo: Atica, 1982.
José Luandino Vieira, De Rios Velhos E Guerrilheiros 1. O Livro Dos Rios (Lisboa:
Caminho, 2006). 2. O
livro dos guerrilheiros (Lisboa: Caminho, 2009). Non
traduit en Français.