Monsieur le Président,
En novembre 2014, vous vous êtes engagé à jouer un rôle moteur dans la suppression progressive des subventions publiques aux énergies fossiles au niveau européen, et vous avez esquissé un important premier pas en annonçant que la France ne soutiendrait plus l’exportation de technologies liées au charbon. En tant que représentants de communautés indiennes, indonésiennes, thaïlandaises, sud-africaines et vietnamiennes exposées aux ravages du charbon, nous avions applaudi cette décision qui marquait un vrai progrès. En tant que représentants de la société civile de pays en développement dont le secteur électrique est promis à une forte croissance au cours des prochaines décennies, nous comptons sur la capacité de la France à être un leader de la transition vers une économie mondiale décarbonisée.
Mais il semble aujourd’hui que votre gouvernement s’apprête à revenir sur cette décision en adoptant un régime d’exemptions visant à permettre à Alstom de continuer à exporter vers nos marchés.
Paradoxalement, votre gouvernement prétend que c’est dans notre intérêt qu’il renierait son engagement, au prétexte que le charbon serait la solution pour nous donner accès à l’électricité et donc au développement. Mais nous ne supplions pas la France de nous apporter l’électricité. Au contraire, nous sommes opposés à la construction de nouvelles centrales à charbon dans nos pays. Rien ne nous oblige à reproduire les schémas du passé.
Certes, le charbon a longtemps été considéré comme l’énergie la moins chère et la plus accessible. Mais aujourd’hui, on connaît son véritable coût, notamment pour la santé humaine et les écosystèmes. On sait que la combustion du charbon provoque de nombreuses maladies telles que cancer, problèmes cardiaques et respiratoires, et de nombreux décès prématurés, sans pour autant assurer aux populations un large accès à l’électricité.
Nos communautés, et notamment les populations indigènes, paient déjà un lourd tribut au charbon. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, plus de 7 millions de personnes sont mortes à cause de la pollution de l’air en 2012, soit environ le double du nombre total de décès provoqués par le Sida, la malaria et la tuberculose. Nous expliquerez-vous que c’est là le prix du développement ?
Fort heureusement, rien ne nous oblige à suivre le même sentier de développement que la France et d’autres pays par le passé. Nos pays disposent d’un gigantesque potentiel en matière d’énergies renouvelables. En Afrique du Sud, pendant que la France soutenait la construction des centrales à charbon de Kusile et Medupi, qui ont fait exploser le prix de l’électricité et évincé de nombreux consommateurs, le coût des énergies renouvelables a baissé à la vitesse de l’éclair, à tel point que celles-ci sont désormais capables de concurrencer l’électricité produite à base de charbon. L’Afrique du sud est l’un des pays du monde qui jouit du meilleur ensoleillement, et dispose aussi d’un très bon potentiel pour l’éolien, sur terre comme en mer. Plusieurs études ont montré que les énergies renouvelables pouvaient assurer la moitié du mix énergétique d’ici 2030, et jusqu’à 94 % des besoins en électricité de l‘Afrique du Sud d’ici 2050.
A moins de cinq mois de la Conférence climat de Paris, comment pourriez-vous ignorer le fait que le charbon est l’un des principales causes du changement climatiques ? Qu’il s’agisse de son extraction ou de sa combustion dans des centrales électriques, le charbon ne sera jamais «propre», quelle que soit la technologie utilisée. La science nous informe que notre budget carbone ne laisse pas de place à la construction de nouvelles centrales à charbon, à moins qu’elles ne soient équipées d’un système de captage et de stockage du carbone (CSC) opérationnel. En s’engageant à ne plus soutenir l’exportation de centrales sans CSC opérationnel, la France s’est positionnée en leader sur ce sujet crucial.
A Manille, en février, vous avez lancé un appel à la solidarité internationale contre le changement climatique. A vous, aujourd’hui, de montrer l’exemple en arrêtant d’aider les entreprises françaises à exporter les technologies liées au charbon, et en apportant votre soutien à nos pays pour mener à bien des projets d’énergie renouvelable décentralisés.
Monsieur le Président, nous restons confiants dans votre détermination à tenir votre promesse, et à incarner un leadership climatique sur la scène internationale afin de pousser d’autres pays à supprimer, à leur tour, tout soutien public à l’exportation de centrales à charbon.
ONG signataires
Inde : Bharat Jan Vigyan Jatha (BJVJ), Beyond Copenhagen Collective, Environics Trust
Indonésie : WALHI, Friends of the Earth Indonesia
Afrique du Sud : Earthlife Africa, Groundwork – Friends of the Earth South Africa
Thaïlande : Krabi anti-coal network
Vietnam : Green Innovation and Development Centre (GreenID), Vietnam Sustainable Energy Alliance (VSEA)