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Un porno moins sexiste ?

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Dans le porno, le sexe c’est simple comme un coup de fil… Dans la vraie vie, les femmes ne sont pas si disponibles, ni si rapidement désireuses de s’offrir «par tous les trous». La réalisatrice Erika Lust propose un porno différent : «moins sexiste», dit-elle. Dans le porno, le sexe relève du miracle instantané… Les hommes bandent sur un claquement de doigts et les femmes sont si chaudes qu’il n’y a même pas besoin de leur demander comment elles s’appellent. En 2014, Erika Lust prononce à
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publié le 9 août 2015 à 22h31

Dans le porno, le sexe c’est simple comme un coup de fil… Dans lavraie vie, les femmes ne sont pas si disponibles, ni si rapidement désireusesde s’offrir «par tous les trous». La réalisatrice Erika Lust propose un pornodifférent : «moins sexiste», dit-elle.

Dans le porno, le sexe relève du miracle instantané… Les hommesbandent sur un claquement de doigts et les femmes sont si chaudes qu'il n'y amême pas besoin de leur demander comment elles s'appellent. En 2014, Erika Lustprononce à Vienne un discours intitulé «Il est temps que le porno change» : «Imaginezune scène porno, dit-elle. Que voyez-vous ? Une femme. Blonde, robeajustée, lèvres rouges, des seins comme des melons. Une bite de la taille decelle d'un étalon entre ses lèvres serrées. Elle fait une fellation. Pourquoi ?Parce qu'un mec bien est venu la secourir quand sa voiture est tombée en panne.»Dans la salle, tout le monde éclate de rire. Erika Lust ne peut s'empêcher derire aussi, puis continue : «Après la "fellation de remerciement", l'hommejouit sur son visage et la femme… sourit aux anges. Comme si elle était comblée».Erika Lust conclut : «C'est ça le porno. Il est temps que le porno change».

A priori, on ne peut qu'approuver cette critique d'un modèle courantde porno. Dans beaucoup de films X, le rôle de l'actrice se limite souvent àmimer la fille en rut, trempée de désir pour un homme qu'elle vient à peine derencontrer et suffocant de joie alors qu'il s'enfonce jusqu'au fond de sagorge, aie, ou qu'il lui pilonne brutalement le col de l'utérus, ouille. Toutcela sans préservatif. Ciel. Lorsqu'on regarde ce genre d'images, on se ditqu'Erika Lust a peut-être raison de défendre, – comme Annie Sprinkle pionnièredu féminisme pro-sexe –, l'idée selon laquelle : «La réponse au mauvaisporno n'est pas l'abolition du porno… c'est faire du meilleur porno»…

Diplômée en Sciences Po et Etudes de genre en Suède, Erika Lust sedéfinit comme une «réalisatrice féministe de films pour adultes». Elleest d'origine suédoise : «Rappelez-vous d'où je viens, insiste-t-elle.Probablement le meilleur pays pour grandir avec une conscience féministe. Lepremier pays du monde à avoir instauré l'éducation sexuelle à l'école.»Elle travaille à Barcelone où elle a fondé sa maison de production (1) etdepuis environ un an, sur Internet, Erika s'efforce de faire participer lesspectateurs-ices à son effort de rénovation du porno. Elle a lancé le projetXConfessions. «Chaque mois les utilisateurs-ices du site XConfessions.comenvoient de façon anonyme leurs fantasmes. Erika choisit les deux histoires lesplus excitantes et les transforme en court-métrages érotiques».

«XConfessions, fait par vous et par Erika Lust» semble faireun tabac. Vanessa, l'attachée de pressede Lust Film affirme qu'il y a eu au cours de l'année 2015 une augmentation de86% du nombre d'abonné(e)s par rapport à 2014. «C'est la première fois qu'unprojet pareil obtient tant de succès dans l'industrie du divertissement pour adultes!». Les gens qui envoient des fantasmes sont de toutes nationalités. Leursconfessions – rédigées en français, anglais, espagnol, allemand, italien, etc –couvrent une large gamme de pratiques : «J'ai couché avec mon beau-frère»,«Triolisme à l'hôtel», «Faire du catch avec une femme forte», «Mater du pornochez moi avec une autre fille», «Trois mâles me prennent tour à tour»,«Spectrophilie», «Rendez-vous avec mon maître», «Masseuse dans un complexe deluxe»…

Ces films présentent la caractéristique de toujours mettre en scènedes relations égalitaires, agrémentées des multiples marques extérieures derespect, d'affection ou de désir réciproque. Il s'agit, même dans les scènessadomasochistes, de montrer que l'individu est précieux autant que ses désirs,y compris les plus «sales». «Je ne suis pas contre le sexe sale, répèteErika Lust. Je suis pour des valeurs propres. C'est-à-dire : la réciprocité,le consentement, le réalisme et le fait que chacun y trouve du plaisir, qu'ils'agisse de fantasme brutal ou d'étreinte aux pétales de rose.» Lorsqu'elledéfend sa vision des choses, Erika Lust ajoute volontiers qu'elle est mère dedeux filles : Lara, 8 ans et Liv, 4 ans. «Je ne veux pas qu'elles apprennentl'estime et l'image de soi à partir de mannequins retouchés. Je ne veux pasqu'elles prennent l'habitude de fumer ou de mal manger et je ne veux pas qu'elles apprennent le sexeà partir d'un porno sexiste».

Erika Lust part du principe que le porno constitue maintenant unedes principales sources d'information sur le sexe. Pourquoi ? Parce que c'estun discours qui s'est accaparé le champ de la représentation sexuelle,dit-elle (2). Ce discours participe forcément de la façon dont on vit le sexe. «Saviez-vousqu'on estime qu'un tiers du trafic internet est de la pornographie ? Saviezvous qu'une recherche google sur quatre c'est quelqu'un qui cherche du porno ?Savez-vous que les ados regardent du porno en ligne avant d'avoir des relationssexuelles ? Le porno est l'éducation sexuelle d'aujourd'hui. Et ça a un impactsur l'éducation du genre. C'est quoi la source d'inspiration de nos enfants ?Du porno nul, mauvais et macho. C'est pourquoi il est temps que le pornochange. Il faut apprendre à nos enfants à se respecter et à valoriser eux-mêmeset leur sexualité. Il faut leur apprendre à poser un oeil critique sur lesreprésentations sexuelles».

L'effort d'Erika Lust, certainement, est louable. Mais l'insistanceavec laquelle elle défend l'idée qu'il faut «filmer la femme comme unindividu sexuel et non pas comme un instrument de plaisir masculin» posecependant problème, car elle repose sur des préjugés nuisibles à lacompréhension de ce qu'est un fantasme. Un fantasme, par définition, n'est nimoral, ni réaliste. Vouloir filmer des fantasmes confronte forcément leréalisateur, quel que soit son sexe et sa déontologie, à l'obligation de filmerdes scènes qui ne sont pas réalistes. Encore moins bienséantes. Pour êtreexcitant, un film doit montrer le désir. Dans le porno, les individus enprésence éprouvent un désir tel qu'ils se sautent dessus sans même discuter defleurs ou de méthode contraceptive… Il s'avère d'ailleurs que dans les filmsd'Erika Lust, – comme dans n'importe lequel des pornos qu'elle critique –, lesfemmes (autant que les hommes, faut-il le souligner ?) ont des envies sexuellespressantes et irrépressibles. Si Erika Lust filmait le lent travail d'approchequi préside aux rencontres, ses films perdraient toute puissance d'impact : ilserait impossible de se masturber dessus. Ce serait des comédies romantiques.

Quant à la question de savoir si la femme dans un porno est un «instrumentde plaisir masculin»… C'est une question complexe. L'homme qui bande àl'écran n'est-il pas lui aussi un instrument de plaisir pour la femme ? Ceux etcelles qui mâtent le film n'en font-ils pas l'équivalent d'un sextoy ou d'unepoupée Ken à grosse queue ? Objet de désir, casté sur son corps musclé autantque sur son pénis XL, la pornstar mâle n'a pas forcément un statut supérieur à celui de la pornstar femelle. «Oui,mais c'est lui qui jouit dans le film, protestent certain(e)s féministes. C'estaussi lui qui impose les positions, force les trous, défonce les orifices,martelle les fesses de la femme, la bâillonne avec son pénis et lui macule levisage de sperme.» Le fantasme de la femme abusée, brutalisée ou réduite austatut de «vide-couilles» est en effet courant dans l'industrie hardcore. Maisil est également courant dans beaucoup de productions homosexuelles, sans quepersonne ne s'en formalise.

Pourquoi dire qu'une production est sexiste lorsqu'elle est hétéro,alors que le même rapport de force peut exister entre deux gays ou deuxlesbiennes ? Les films de sévices sontlégions sur les sites de «porno alternatif» : «Cambrioleur se fait baiser de force», «Esclave de sa codétenue», «Gay musclé explose le cul d'un pote»,«Kidnappée dans les chiottes, elle se fait enculer par une bande de filles»…Que déduire du succès que ces films obtiennent ? Plusieurs interprétations sontpossibles. La première interprétation, c'est que les gays et les lesbiennessont les victimes – autant que les femmes hétéros – d'une vision binaire du mondeet qu'ils-elles ont intériorisé le schémas qui impose la séparation entre unpôle mâle (brutal, dominant) et un pôle femelle (soumis, passif). La secondeinterprétation, c'est que les fantasmes les plus excitants sont souvent lesplus transgressifs et qu'il y a dans la violence une énorme dose detransgression. Quelle interprétation trouvez-vous la plus intéressante ?

ErikaLust a-t-elle raison de dire qu'un porno anti-sexiste est forcément un«meilleur» porno ? Cela n'enlève rien à la qualité de ses films, bien sûr, mais peut-être serait-il temps de remettre en cause la vision moralisatrice qui contribue à culpabiliser les amateurs et amatrices de porno mainstream… sous prétexte que ce qui les excite est «mauvais et macho». Le concept de «porno féministe» a d'ailleurs fait son temps. Il ne veut rien dire. Peut-être même qu'il est nuisible.

Ce sera l’objet du prochainarticle.

POUR EN SAVOIR PLUS : le site XConfessions contient des courts-métrage (10 mn en moyenne) d'Erika Lust, réalisés à partir de fantasmes envoyés par ses spectateurs-ices. Le site Lust Cinéma contient des longs-métrages réalisés par des femmes ou hommes féministes (Tristan Taormino, Ovidie, Graham Davis, Jackie St James, Erika Lust, etc) qui défendent l'idée d'un porno éthique.

AUTRES ARTICLES : «A quoi sert le porno ?»

NOTES

(1) «Dès lacréation de l'entreprise en 2005, on a eu une croissance exponentielle. On adoublé chaque année les ventes et enregistré une moyenne de 3000 nouveauxabonnés par mois sur le site. Notre audience se divise en 50% hommes et 50%femmes». (Vanessa, attachée de presse de la compagnie Lust Films).

(2) «J'ai condamné le porno jusqu'à ce je tombesur "Hardcore", un livre de Linda Williams, professeur à Berkeley. J'ai apprisque le porn n'est pas juste du porn mais en fait c'est un discours, un discourssur la sexualité, sur la masculinité, sur la féminité et sur les rôles que nousjouons. Ce fut mon moment Eureka. J'ai compris que les seuls qui participent audiscours de la pornographie sont les hommes. Des hommes machistes, étroitsd'esprit, des hommes à faible intelligence sexuelle. Mais le monde n'a-t-il paschangé ? Le rôle des femmes n'a-t-il pas changé ? Dans la politique au travail,à la maison, au lit… Le monde n'est-il pas une meilleur endroit grâce à cela ?Le rôle des femmes est sujet de débats partout. Partout sauf dans l'industriedu porno. Il est temps que le porno change et pour cela on a besoin de femmesdirigeantes, productrices, réalisatrices… Je ne veux pas expulser les femmes duporno, je veux qu'elles entrent dans le porno. Le porno a besoin de femmes,derrière la caméra». (Erika Lust, lors des TEDx à Vienne)

ILLUSTRATION : «I imagine a rapt audience» (XConfessions de Jodie et Erika Lust)