«Vous vivez en Israël ?» - «Je vis à Tel Aviv», avais-je pris l'habitude de répondre du temps où j'étais conseiller culturel à l'ambassade de France en Israël. Parlons de Tel Aviv pour disjoncter la polémique hystérique qui voit le Mont Sion érigé en château de sable menaçant face à Notre-Dame, en ce jour terrible où Paris-Plage va accueillir Tel-Aviv Beach.
Flash back sur cette dernière semaine de juillet 2015 où la majorité de la population israélienne et même l’ensemble de la classe politique, ont compris qu’une guerre nouvelle avait éclaté, et que cette fois l’ennemi était intérieur. Un fanatique religieux a poignardé Shira Banki, une jeune fille de 16 ans qui participait à la Gay Pride, qui va mourir de ses blessures. Des extrémistes - des fascistes cela s’appelle - des colonies juives en Cisjordanie, ont mis le feu à une maison palestinienne où dormait la famille Dawabsha, à Douma. Ali, le bébé de 18 mois, a été brûlé vif, son père Saad vient de mourir de ses brûlures, sa mère et son frère de 4 ans sont toujours dans un état critique. Dès le samedi soir on a manifesté partout en Israël contre la haine. Et, bien sûr, sur la place Rabin, devant la mairie de Tel Aviv.
La place centrale de Tel Aviv est le symbole de l’Israël progressiste, travailliste, pour la paix, qui ne gagne pas souvent les élections avec un système proportionnel qui avantage les petits partis d’extrême-droite. Mais tout de même, cet Israël piétine régulièrement, avec ses drapeaux et ses slogans pour la paix avec les Palestiniens, sur la place Rabin. Qui ne s’appelait pas Rabin avant qu’un extrémiste juif n’y abatte à bout portant, il y a juste vingt ans, le premier ministre Yitzhak Rabin qui venait de faire un discours ...sur la paix.
Ce soir du 1er août 2015, toute la place a pleuré quand l’oncle du bébé brûlé vif, est monté sur une estrade et a raconté, en arabe, avec une traduction en hébreu, comment la famille Dawabsha a essayé de fuir sa maison en flammes. Il était venu des territoires palestiniens pour parler aux habitants de Tel Aviv, qui l’ont écouté avec respect.
Un peu plus tard dans la nuit - Tel Aviv la ville qui ne dort jamais - autre manif contre la haine et le terrorisme religieux, dans le parc Gan Meir, centre du Gay Tel Aviv. Là où l'on a construit un monument à la mémoire des déportés dans les camps nazis «en raison de leur orientation sexuelle»: un triangle de pierre, rose comme le signe de la persécution des homosexuels. Le maire Ron Huldaï qui a fait de sa ville l'une des plus gay-friendly au monde, Shimon Peres et bien d'autres vont parler de leur honte et de l'urgence d'éradiquer la haine des fanatiques religieux. Dans le parc, ce soir, on ne fait pas de différence entre les victimes de ces attaques, que ce soit la jeune fille de Jérusalem ou la famille de Cisjordanie.
Tel Aviv Beach vue de Jaffa. Photo Lionel Choukroun
Sous ses allures de fêtarde, de nuit infinie, de body-building sur la plage, de la mer pour tous - juifs, musulmans, chrétiens ou autres - de musique tonitruante et de cafés qui ne ferment jamais, Tel Aviv sait aussi être grave. L'assassinat de Rabin en plein coeur de la ville rappelle, vingt ans plus tard, que Tel Aviv est toujours l'ennemie historique des fanatiques extrémistes religieux, la Sodome et Gomorrhe à abattre. Et voilà que nos fanatiques locaux se déchaînent contre Tel Aviv Beach à Paris. Contre la musique, les raquettes, le houmous. Au nom, comme d'habitude, de «la juste lutte contre le sionisme», disent-ils. Mais quand on voit sortir de l'eau des slogans comme «pourquoi pas une plage Coulibaly ?» - l'assassin de l'HyperCacher - on se dit que les fanatiques surfent sur la même vague.
Annette