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Le porno féministe n'existe pas

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Le porno féministe est un label vendeur visant à nous faire croire qu’il existerait un «bon» porno (égalitaire, consensuel) par opposition à un «mauvais» porno (une industrie mainstream dominée par des hommes). Manque de pot, le porno féministe ne plaît pas à toutes les femmes…«Les filles ont une consommation de porno assez différente des mecs : elles regardent des choses plus violentes. Plus intenses, en tout cas.» S’il faut en croire Stephen des Aulnois, fondateur du magazine en ligne Le Ta
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publié le 12 août 2015 à 8h23
(mis à jour le 20 août 2015 à 22h34)

Le porno féministe est un label vendeur visant à nous faire croire qu’il existerait un «bon» porno (égalitaire, consensuel) par opposition à un «mauvais» porno (une industrie mainstream dominée par des hommes). Manque de pot, le porno féministe ne plaît pas à toutes les femmes…

«Les filles ont uneconsommation de porno assez différente des mecs : elles regardent des chosesplus violentes. Plus intenses, en tout cas.» S'il faut en croire Stephen des Aulnois,fondateur du magazine en ligne Le Tag Parfait, ce sont les tags SM quiressortent lorsqu'on examine les statistiques de recherche pour les femmes quifréquentent les sites de X. «Lesfilles vont regarder du sado-masochisme poussé. Sinon, il y a quelque chose quimarche très bien auprès de la population des adolescentes (18-21 ans), c'est letag "first anal" qui est correspond à la première sodomie filmée.» Stephenne se l'explique pas. Il ajoute : «Même si elles ne le pratiquent pas, c'estle SM qui les attire. (1)» Que faut-il en déduire ? Pour la réalisatriceOvidie, auteure du documentaire «A quoi rêvent les jeunes filles ?» (2), il y a làquelque chose de choquant : «Cette génération semble se désintéressercomplètement de la pornographie féminine», déplore-t-elle. Pire : nonseulement les filles qui ont grandi avec Internet se détournent des productions«féministes» mais leur préfèrent les productions «machistes».

«Un des phénomènessymptomatique» de cette tendance est l'émergence d'un acteur qu'Ovidie voueaux gémonies : «Il s'appelle James Deen. Il a 27 ans et c'est la star du X préférée des jeunes femmes. Il domine, étrangle, gifle et son public féminin enraffole. Des femmes lui consacrent des tumblers. Les blogueuses ne tarissentpas d'éloges à son sujet. Même mes propres amies s'échangent des vidéos. Certainesdisent que c'est un féministe car il revendique le droit pour les femmesd'êtres soumises et d'aimer ça. On croit rêver.» Pour Ovidie, le succès deJames Deen est révélateur. De quoi ? Du fait que les femmes restent soumises àun ordre patriarcal.

«Lorsque j'ai réalisémes premiers films X, je pensais que les bases de l'égalité homme-femme étaientsuffisamment consolidées pour que nous puissions faire avancer le combat sur ceterritoire. Les luttes anti-porno des féministes conservatrices me paraissaientringardes et dépassées : je n'avais pas conscience du travail qu'il restait àfaire. La révolution sexuelle n'est vieille que de quarante ans. Quarante ans,c'est trop court pour déconstruire des siècles de domination masculine.»Pour Ovidie, la pornographie n'a rien permis de changer : «Ce n'est qu'uneforme de sexisme devenu sexy qui reproduit des schémas archaïques». Elle garde cependant l'espoir que la pornographie «féministe»permette de faire évoluer les mentalités. Son activisme consiste à réaliser des films où femmes et hommes sedésirent mutuellement, dans un contexte propice aux aux gestestendres et au vrai partage. Tout comme la réalisatrice suédoise Erika Lust, quimilite pour un «meilleur» porno (c'est-à-dire féministe), elle pense qu'il fautproduire du cinéma de sexe éthique, avec de vraies valeurs.

Le problème, c’est que –ce-faisant – Ovidie et Erika Lust véhiculent le même discours stigmatisant queles ligues anti-pornographie. Lorsqu’elles affirment qu’elles veulent faire du«bon» porno, elles sous-entendent que le porno en soi est «mauvais», rejoignantainsi la cohorte des censeurs. Leurs arguments– basés sur la distinction binaire entre «bon» érotisme et «mauvaise»pornographie – s’appuient sur l’idée qu’il faut établir des normes decomportement sexuel au cinéma. Pourquoi ? Parce que le X prend part àl’éducation et contribue à légitimer un modèle de relations qui implique lasubordination de la femme, disent-elles… Cet argument est-il pertinent ? Oui etnon. Oui, c’est vrai que le porno participe de la façon dont nous vivons notresexualité. Mais non, l’influence directe du porno sur le comportement desspectateurs (pas plus que celle de la violence dans les jeux de rôle ou dansles jeux vidéos) n’a jamais été prouvée.

Les spectateurs nonseulement sont capables de faire la distinction entre fiction et réalité maisils tirent leur plaisir du léger hiatus qui sépare le porno d’un documentaire.L’aspect «authentique» des relations sexuelles fournit matière à jouissance :tout en sachant qu’il s’agit d’acteurs, le spectateur aime s’imaginer qu’ilregarde du «vrai» et que «pour de vrai» les femmes pourraient dans la vraie vies’offrir à lui comme des chattes en rut… ainsi que font les pornstars àl’écran. Tout ça n’est qu’un jeu imaginaire bien sûr. Comme tous les jeux, quiconsistent à brouiller les frontières trop nettes que nous posons entre lescatégories (bien-mal, mâle-femelle), la simulationpornographique est un espace de liberté qui consiste pour le spectateur / laspectatrice à se projeter dans une scène excitante car interdite.

Le porno est sexisteparce qu’il est transgressif. S’il n’était pas transgressif, il neserait pas porno. A rebours d’une morale bourgeoise qui réprime lescomportements dits «bestiaux», l’excès, la transe et la violence,le porno met en scène l’utopie d’un monde peuplé de femmes avides etdisponibles. Il s’agit de faire rêver le spectateur / la spectatrice surl’image d’un désir contagieux, immédiat, facile à satisfaire entre les bras decréatures torrides et vicieuses. De ce point de vue, il est normal que lesfilles accordent leur préférence à des icônes comme James Deen. Il est absurdede penser que ces filles n’ont aucune morale. Rien n’est plus nécessaire auxfantasmes que la morale. C’est là où Ovidie, tout comme Erika Lust, ont tort deprôner la supériorité de leur production sous prétexte qu’elle estconsensuelle, égalitaire et remplie de bons sentiments. Le porno qui prétendlibérer les femmes de l’oppression, à grands renforts d’images esthétisantes, les enferme dans une imagerie plus nocive que les pires desproductions hardcore.

Leproblème avec le label «féministe» c'est donc qu'il contribue à reproduire lejugement binaire des contempteurs du X. Méfiez-vous du «discours normatifsur la "bonne image" sexuelle», soutient le sociologue Florian Vörös : ilne fait que «reproduire les échellesde valeur hégémoniques». Vörös cite à ce sujet une star du porno queer, Jiz Lee (3), dont l'allocution aux derniers Feminist porn awards commençait par la phrase : «Le"porno féministe" n'existe pas. "Le"porno féministe" est un label à la mode qui attire l'attention des gens surune chose importante : c'est que l'industrie du sexe et le féminisme ne sontpas forcément opposés. Mais le problème avec ce label c'est qu'il résume lepréjugé selon lequel il y aurait un sous-genre de porno qui serait acceptablepar opposition à un porno mainstream qui serait misogyne… Ce qui est faux».

Même s’il attire utilement l’attention du public sur des productions novatrices, ce label ne rend pas service au porno, car ilentretient des idées préconçues : à savoir que le porno est aux mains deproducteurs machistes qui exploitent des actrices, que le porno est violent,que le porno n’est pas fait pour les femmes, etc. Notre société attribue auporno tous ses maux. Mais ce n’est pas le porno, c’est la société qui produitdes inégalités sociales entre hommes et femmes. C’est la société qui assigneaux femmes le rôle de poupée Barbie. Le porno, lui, se constitue d’une infinitéde sous-genres qui couvrent toutes les pratiques, tous les jeux de rôlepossibles, toutes les subversions. Alt-porn, indie porn, porn queer , porn éthique, porn defemme, porn de gouines, porn de trans… La plupart de ces niches necherchent pas à tracer la ligne entre ce qui est bon ou mauvais, mais plutôt àcombattre le stigmate qui frappe le porno. Le stigmate fait croire aux gens quele porno est monolithique. La réalité c’est que le porno explore toutes lesformes de corps et tous les types de sexualités.

LIRE : Cultures pornographiques, dirigé par Florian Vörös, aux éditions Amsterdam. 320 pages. 23 euros.

NOTES

(1) «Mon intervention dans le doc d'Ovidie qui m'a un peu surpris car je sors ça comme si c'était une vérité générale alors qu'en fait je parlais d'une mini étude très empirique sur la consommation de nos lecteurs et lectrices. Ce qu'il en ressortait était que les tags proche du réel (first anal) ou transgressifs (bdsm, soumission, ou anal...) semblaient plus plaire que d'autres, contrairement aux hommes qui fantasmaient plus sur du porno Glamcore type X-Art. C'est également une analyse que je tire des nombreux petits entretiens qu'on a pu faire dans la rubriquer Les Parfaites sur le site». (Stephen des Aulnois, 12 août 2015)

(2) Le documentaire Infrarouge «A quoi rêvent les jeunes filles?» réalisé par Ovidie, a été diffusé mardi 23 juin 2015, à 23h10, sur France 2.

(3) Ainsi qu'elle l'indique très clairement sur son blogue, Jiz Lee est actrice de pornos «indépendants, queer et mainstream». Elle affirme travailler dans les niches «indie, queer et hardcore gonzo» (et non pas dans la catégorie du «porno féministe»). Jiz Lee se définit comme une Gender-Queer, c'est-à-dire ni homme, ni femme, ni hétéro, ni homo, mais tout à la fois, suivant le rôle qu'elle a envie de jouer.

POUR EN SAVOIR PLUS : «A quoi sert le porno ?». «Sommes-nous sexuellement libérés ?».La première partie de ce dossier : Un porno moins sexiste ? (consacré au projet de la réalisatrice suédoise Erika Lust).A quoi sert le porno ?, Le regard caméra dans les films de cul. Combien rapporte un film porno (en France) ?

LA REPONSE DE OVIDIE A MON ARTICLE sur MetroNews. L'info relayée par Arrêt sur Images.

ILLUSTRATION : XConfessions, d'Erika Lust.