Septembre 2006 : François Fillon publie
La France peut supporter la vérité,
réquisitoire sévère contre les années Chirac et plaidoyer pour la «rupture» que le futur Premier ministre préparait alors aux côtés de Nicolas Sarkozy. Le même Fillon revient aujourd’hui avec un nouveau livre intitulé
Faire
. Il prône, cette fois, la
«vraie rupture»,
en s’efforçant d’expliquer pourquoi la promesse de Sarkozy n’a pas été tenue. Le premier livre déroulait le plan de bataille d’un candidat à Matignon. Le second entend justifier l’ambition présidentielle du candidat à la primaire de la droite et du centre. L’entreprise est périlleuse : il s’agit de convaincre qu’il serait, mieux que Juppé ou Sarkozy, le président courageux dont la France a besoin. Les Français n’en sont pas convaincus, c’est le moins qu’on puisse dire. Quand les électeurs sont interrogés sur leurs intentions de vote, Fillon est lâché, plus de 20 points derrière les deux favoris, Juppé et Sarkozy. Avec ce livre, il espère reconquérir des Français en révélant sa vraie nature.
Puisqu'une élection présidentielle marque, selon la mythologie gaulliste, «la rencontre d'un homme et d'un peuple», le pudique Sarthois se fait violence. Lui qui va répétant que la vie politique n'est «pas un spectacle», voilà qu'il entreprend de raconter ses aïeux, «pétris de foi catholique et de fierté vendéenne», ses étés sur les contreforts des Pyrénées, au Pays basque dont sa mère est originaire, ses passions pour l'alpinisme et la course automobile. L'évocation de sa Sarthe natale prend des allures d'autoportrait : «un pays d'équilibre et de modération», une «terre de progrès, imperméable à la démagogie», où «les amitiés sont solides».
Tout cela reste très raisonnable. L'ancien Premier ministre confirme qu'il ne faut pas le ranger dans la catégorie de ces ambitieux congénitaux, genre Copé ou Sarkozy, qui se voyaient déjà président de la République à peine sortis de l'adolescence. A tout prendre, il préfère «passer pour un terne que pour un illusionniste». Il se sait très attendu sur ce qu'il dira de l'ancien chef de l'Etat. L'exercice est périlleux : il n'échappera pas au procès en déloyauté et en trahison, même s'il prend soin de rappeler la sincérité de son engagement avec Sarkozy en 2007 : «C'était son moment. […] Nos équipes fourmillaient d'idées, nous avions le sentiment de tout réinventer, sa victoire fut aussi une victoire intellectuelle pour la droite.»
Mais dans l'exercice du pouvoir, il se trouve que ce président fut parfois «étrangement pondéré», voire «presque contemplatif». Incapable, donc, d'assumer «la rupture» promise. Pourquoi ? Parce qu'il «répugnait de ne pas être aimé», tout simplement. «Il semblait chercher le compromis, comme s'il craignait le procès en extrémisme que ses adversaires n'ont cessé de lui intenter». «Extraordinaire combattant» dans la conquête du pouvoir, mais trop «vulnérable aux humeurs de l'opinion» dans son exercice : tel fut le président Sarkozy, incapable «d'assumer des choix impopulaires», sur le temps de travail, les retraites ou la réduction des déficits. Dans le couple exécutif, «le dur» n'était donc pas celui qu'on croit : «Je suis moins malléable, moins perméable» insiste Fillon. C'est dit ! On imagine la fureur de Sarkozy en lisant ces lignes, lui qui se fait fort d'écraser ses concurrents grâce à son leadership naturel et son volontarisme à toute épreuve.
Pour Fillon, la défaite de 2012 tient moins au bilan - pas si mauvais - du quinquennat qu'à la personnalité «trop décriée» de Sarkozy. La partie n'était «pas gagnable». Le président sortant a réussi à se faire battre, alors que «le pays, dans ses profondeurs, était à droite».
Les causes de ce rejet, Fillon suggère d'aller les chercher dans la dégradation de l'image des responsables politiques. A ce propos, il revient sur l'épisode de sa défaite face à Copé et se dit «sidéré» de la rapidité avec laquelle a été acceptée la «victoire» pourtant frauduleuse du maire de Meaux. Il serait donc admis que «la politique se joue dans un monde sans foi ni loi» ? Epargné par les affaires politico-financières qui jalonnent l'histoire récente de la droite, l'austère séguiniste accuse les responsables politiques qui se prennent «pour le mâle dominant des meutes de loups» d'entretenir un climat «de violence et de transgression». Le mâle dominant : c'est la métaphore favorite de Nicolas Sarkozy, ex-jeune loup de la chiraquie. Cette meute, Fillon n'a jamais voulu la rejoindre. Elle qui pourrait bien, dans les jours qui viennent, reprendre du service contre l'insolent.