Menu
Libération

Ecarter les enfants des tortionnaires

Soumis à la toute-puissance parentale, comme les sujets des régimes autoritaires, les jeunes victimes doivent être préservées de la terreur.
publié le 18 septembre 2015 à 17h26

Alors que le sort d’Aylan émeut les élites françaises - y compris celles souvent réticentes à la solidarité internationale -, le procès des parents de Bastien apparaît comme un fait divers supplémentaire. Pourtant, les deux garçons avaient 3 ans au moment de mourir noyés, le premier cherchant à fuir son pays, le second dans une machine à laver. Et l’on peut imaginer que Bastien a souffert encore plus qu’Aylan. Ce dernier est décédé alors que ses parents voulaient le protéger de la guerre, que son père lui a tenu la main et qu’il a tout fait pour le sauver avec son frère et sa mère. Le pauvre Bastien, lui, est mort parce que son père l’a mis dans la machine à laver pour le punir, tandis que sa mère se distrayait en faisant un puzzle avec leur fille aînée.

Le plus révoltant dans cette histoire, c'est que les parents assassins étaient surveillés par les services sociaux à cause des mauvais traitements dont Bastien avait été l'objet. Pire encore. La veille de cet horrible meurtre, le père avait averti les services sociaux pour évoquer la possibilité qu'il jette son fils par la fenêtre «quitte à prendre quinze ans de prison». Mais personne n'est venu sauver la petite victime. On savait pourtant que ce père indigne avait l'habitude de frapper et de torturer son fils en l'enfermant dans un placard exigu, pieds et mains liés avec du scotch.

Comment, dans un pays où on laisse mourir les enfants de cette façon, alors que ceux qui sont censés les protéger font l’autruche, peut-on s’émouvoir du sort de ceux qui meurent à l’étranger en fuyant les guerres ? Pire encore. Si ce petit enfant avait survécu aux coups, il est probable qu’il serait devenu un terrible assassin, un violeur, un tortionnaire, un terroriste. Et l’opinion publique, tout comme les juges, l’aurait accablé de châtiments et d’injures. On aurait clamé qu’il n’était pas nécessaire de devenir un monstre en dépit de l’enfance que ses parents lui avaient fait subir ; que l’être humain reste libre de choisir le bien et le mal, comme s’il s’agissait d’une marque de détergent dans un supermarché. Pourquoi les services sociaux agissent-ils ainsi ? Si l’on devait prendre des mesures d’éloignement des enfants des parents maltraitants, il y aurait tant de cas que l’on serait forcé de remettre en cause le principe même d’organisation de la famille actuelle.

De nos jours, il suffit d’être fertile pour avoir le droit d’éduquer des enfants dans le contexte clos des familles nucléaires, sans que d’autres adultes ne soient susceptibles de contrôler quoi que ce soit. Les enfants sont soumis à la toute-puissance parentale, comme les sujets des régimes autoritaires (qu’on fuit, au risque d’en mourir). Les services sociaux rencontrent des difficultés à écarter les petites victimes de tels tortionnaires, pensant qu’il n’y a rien de mieux pour l’enfant que d’être éduqué par des parents liés par le sang. Alors que chaque jour en France deux enfants meurent sous les coups, combien d’autres subissent d’horribles calvaires en silence ? S’il est évident qu’il faut donner l’asile politique à ceux qui risquent d’être tués dans des régimes de terreur, il est tout aussi urgent de sauver des milliers d’enfants de leurs parents tortionnaires, déployant impunément leur cruauté dans le pays des droits de l’homme. Des camps de réfugiés familiaux ? C’est une idée. Pour aller plus loin, on devrait réfléchir au remplacement de la famille nucléaire par d’autres structures susceptibles de garantir aux plus jeunes une enfance sans terreur. Une enfance douce, si possible, pour que les principes d’égalité et de liberté dont ils jouiront à la majorité ne représentent pas que de vains mots. Il est impossible de faire pousser de vrais citoyens dans des familles enfermant leurs enfants dans des placards et des lave-linge.