La traite
transatlantique d’esclaves africains vendus par des Européens en Amérique est
aujourd’hui mieux connue, ou tout du moins en apparence. Elle a fait l’objet de
nombreux livres d’histoire, de romans et de films. Elle est aussi enseignée en
France au collège et se trouve au programme de 4ème. Les recherches sur l’esclavage de ces dernières 25 années sont
pourtant moins connues. En recensant le nombre d’esclaves, les noms de chaque
bateau, leur origine, leur destination, des chercheurs ont patiemment
conçu une gigantesque base de données sur la traite transatlantique. Ce sont ces
chiffres qui ont servi à construire cette carte.
Slavevoyages.org est le
site web qui permet de se connecter à cette base de données. L’utilisateur peut
ainsi obtenir les chiffres globaux de la traite. Ainsi, dans l’état actuel des
recherches, 12 521 336 Africains ont été réduits en esclavage entre 1501 et
1866 et 10 702 656 d’entre eux ont survécu a la traversée de l’Atlantique.
Cette base de données permet aussi de se concentrer sur tous les voyages partis
d’un port en particulier ou sur ceux arrivés à une destination spécifique. Le
nom du bateau et de son capitaine sont presque toujours mentionnés. C’est bien
parce que les esclaves étaient considérés comme des marchandises que de telles
statistiques sont aujourd’hui encore disponibles. Les ports de départ et d’arrivée
gardaient ainsi des traces des transactions financières pour mieux taxer les
esclavagistes. Les journaux financiers de la fin du XVIIIe siècle mentionnaient
aussi les arrivées d’esclaves. On peut aujourd’hui estimer que près de la
moitie des ces bateaux ont laissé une trace écrite dans les documents qui nous
sont parvenus.
Arriver à un tel résultat
n’a pas pourtant pas été facile. C’est toute une équipe de chercheurs spécialistes
d’histoire démographique, quantitative et économique, de linguistique ou
d’anthropologie qu’il a fallu réunir. Le barrage de la langue a lui aussi été
important et sans les progrès de l’informatique depuis les années 1960, réussir
un tel projet n’aurait pas été possible. Le résultat n’est pas que celui d’une
base de données perdue quelque part sur Internet et c’est là tout l’avantage de
cette discipline mêlant sciences humaines et informatique appelée « humanités numériques ». Ces universitaires ont radicalement remis en cause la façon
de comprendre le commerce transatlantique d’esclaves. Pourtant, l’histoire
telle qu’elle est enseignée dans nombre de pays oublie souvent le renouveau
apporté par ces études, ce qui veut dire que nous disposerions de seulement 50% des chiffres de la traite transatlantique.
Ainsi le tristement
célèbre « commerce triangulaire » n’était souvent pas triangulaire et
concernait directement des pays de l’hémisphère sud avec nombre de voyages
reliant par exemple l’Angola et le Brésil. Là où nombre de films se concentrent
sur les États-Unis - Hollywood oblige - la base de données permet de réaliser
que le gros du commerce s’est effectué dans les Caraïbes et au Brésil et non
pas en Amérique du Nord. Le siècle des Lumières européen a été aussi celui où
le plus grand nombre d’Africains ont été vendus comme esclaves. L’histoire de
l’Européen troquant des verroteries et de vieux mousquets contre des esclaves à un
dirigeant africain naïf a elle aussi été complètement revue. On parle
aujourd’hui de résistance, d’accommodation et de collaboration des Africains un
peu de la même manière que pour la colonisation.
Ce sont les conséquences économiques, démographiques et politiques de la traite
que cette base de données permet d’appréhender tant pour l’Amérique et l’Europe
que pour l’Afrique. Le renouveau des études sur les esclaves africains permet
donc d’interroger les sociétés et cultures de trois continents.
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Liens pour le profil d'Andrew Kahn et le site de Slate sur lequel cette visualisation a d'abord été publiée.