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Libération
Passage en revues

Du théâtre, de la philosophie appliquée et une leçon de commerce : trois longs formats à lire ce week-end

Chaque semaine, Olivier Postel-Vinay, directeur du magazine «Books», décortique les longs formats des revues anglosaxonnes. Morceaux choisis.
Johannes Krisch (à gauche) et Michael Maertens, qui interprète Hamlet (à droite), dans une mise en scène de l'Autrichien Klaus Maria Brandauers, en 2002. (Photo Herwig Prammer. Reuters)
publié le 25 septembre 2015 à 13h21

Hamlet avait-il besoin d’un régime ? 

Telle est la question, depuis que les spécialistes s'intéressent à une réplique de la mère d'Hamlet le décrivant comme «gras et de courte haleine». La remarque n'avait choqué personne jusqu'au XIXsiècle. Mais, dans l'Angleterre victorienne, l'embonpoint devient signe d'un manque de caractère. Ce qui expliquerait qu'Hamlet ait du mal à venger son père : il est faible, disent les exégètes, il n'y a qu'à regarder sa bedaine. De nos jours, au contraire, Hamlet est vu comme un héros. Mais l'imaginaire collectif continue d'associer surpoids et défaillance morale. A défaut d'agir sur les représentations, on cherche donc des preuves qu'Hamlet n'était pas «gras» (fat dans le texte) : l'adjectif n'avait pas le même sens, il s'agit peut-être d'une erreur de transcription, et, de toute façon, rien ne dit que Shakespeare fût l'auteur de la réplique. Tout pour qu'Hamlet continue de ressembler au jeune homme «mince, mélancolique et un brin pimpant» de nos fantasmes.

Source : Slate, 20 septembre 2015, 12 000 signes. L'auteur : Isaac Butler est un passionné de théâtre. Il œuvre comme responsable éditorial du Perception Institute, un consortium de chercheurs et d'activistes américains visant à lutter contre les discriminations.

Hyperaltruisme

Un jour, Jeff a offert à sa petite amie Julia une pomme d'amour. Le soir, en y repensant, Julia a fondu en larmes : avec l'argent de la pomme, Jeff aurait pu sauver un enfant du paludisme. Après cet épisode malheureux, Julia et Jeff ont décidé de verser trois quarts de leurs revenus mensuels à des ONG. Ce couple d'Américains de la classe moyenne vit selon les principes de «l'altruisme efficace», une philosophie qui vise à faire le plus grand bien au plus grand nombre en maximisant l'utilité de chaque centime donné une fois satisfaits les besoins essentiels. Ce qui implique de choisir, entre deux bonnes actions, celle qui sauvera le plus de vies. A 13 ans, déjà, lorsqu'on lui proposait de participer à une collecte pour financer l'opération d'un camarade gravement malade, Julia répondait : «Pourquoi la vie de quelqu'un que je connais vaudrait-elle plus que les vies des nombreux inconnus que je pourrais aider avec le même montant ?» Logiquement, elle a donné son argent ailleurs.

Source : The Guardian, 22 septembre 2015, 33 000 signes. L'auteure : Larissa MacFarquhar est journaliste au New Yorker depuis 1998. Son livre Strangers Drowning, consacré à des cas extrêmes de vertu morale, paraît cette semaine aux Etat-Unis (éd. Penguin).

Soutiens-gorge chinois à la conquête de l’Egypte

«Et ceux qui porte des croix, il sont musulmans ?» La question a été adressée au reporter américain Peter Hessler par un commerçant chinois de Minya, une ville de Haute-Egypte à forte minorité copte. L'échange serait représentatif de la totale indifférence des immigrés chinois à la situation politique et religieuse. Souvent peu éduqués, ils n'ont qu'une ambition : vendre. «Ils n'ont pas le sentiment d'être impliqués dans un échange culturel.» Un détachement qui fait particulièrement recette dans les magasins de lingerie chinoise. Hessler en a dénombré vingt-six sur une bande de 500 kilomètres dans le Sud du pays. Des femmes, des hommes, parfois des familles entières viennent y acheter combinaisons en dentelle, strings à plumes, chemises de nuit décolletées et t-shirts transparents. Hessler a même vu un cheik faire ses emplettes un jour de saint-Valentin. Deux femmes l'accompagnaient. D'après la vendeuse, l'une était probablement sa mère. Sa mère ? La vendeuse «n'avait rien à jouter : pour elle, l'histoire avait pris fin dès la vente conclue».

Source : The New Yorker, 10 août 2015, 43 000 signes.  L'auteur : Peter Hessler est journaliste au New Yorker, il a longtemps été correspondant en Chine, dont il est un très bon connaisseur. Il vit au Caire avec sa famille depuis 2011. Un seul de ses livres est publié en français (Sur les routes du nouveau monde, Seuil, 2013).

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