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Libération
TRIBUNE

Le testament de Philippe Saint-André

Alors que samedi la France rencontre la Nouvelle-Zélande en rugby, un sort funeste est promis à l’entraîneur des Bleus.
Philippe Saint André jeudi. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 15 octobre 2015 à 17h26

Si le pire n'est jamais sûr, il demeure toutefois à craindre. Samedi, il n'est pas impossible que les All Blacks nous collent une fessée aux orties cul nu. Et alors ? et alors rien, parce que moi, Philippe Saint-André, sélectionneur national de l'équipe de France de rugby j'ai inventé le concept de «lose décomplexée». Concept dont je ne suis pas peu fier puisque le président Hollande l'a adapté à sa sauce sous le nom de «débâcle optimiste». La recette est simple : nier. Nier les critiques unanimes et toujours trouver une raison d'espérer devant des chiffres désastreux. En quatre ans, mon équipe n'a pas gagné un seul Tournoi des six nations, a pris un nombre incalculable de tripatouillées, a pratiqué un jeu qui remplace avantageusement un somnifère générique. Je pourrai cependant tirer ma révérence en affirmant qu'il n'y a aucune honte à être éliminé de la Coupe du monde par les All Blacks.

Comme François Hollande, j’ai mon Manuel Valls. Il s’appelle Patrice Lagisquet, un adjoint psychorigide qui a viré les frondeurs, des joueurs peu respectueux des consignes au prétexte de s’amuser avec le ballon, de redonner un peu de folie au rugby. Inattaquable, Patrice. Ancien international, palmarès correct et surtout fondateur et président d’une association d’aide à l’enfance handicapée. Le gars dont on ne rigole pas. Même dans le dos.

Selon toute vraisemblance, nous rentrerons lundi en France avec la tête haute car portée à bout de bras. Coupée par ces sauvages de All Blacks. Je débuterai alors une juteuse carrière de consultant auprès de Pôle Emploi. Oui, oui, en dépit d’un bilan en rase-mottes je saurai motiver les chômeurs. Je leur dirai, vous m’avez vu ? J’ai une voix de canard enrhumé, mes copains m’ont surnommé «le Goret» et pourtant j’ai réussi à être embauché par la Fédération française de rugby qui, quelques mois plus tôt, avait pourtant déposé plainte contre moi dans une sombre affaire d’évasion fiscale présumée !

Aux chômeurs, je donnerai l’exemple de Bernard Laporte qui, au micro de TF1, incite les joueurs à attaquer, attaquer, toujours attaquer, alors qu’à ma place il leur hurlait «Défense, défense, défense». Ah, il est fort Bernard. Il parvient maintenant à incarner «les valeurs du rugby» avec trois blagues à 10 sous et deux commentaires technico-tactiques. Il a même réussi à faire oublier son pitoyable échec de 2007 grâce au sélectionneur anglais dont l’équipe a été éliminée dès la phase de poule. Maintenant, Bernard, l’ancien cégétiste passé sarkozyste, envisage de devenir président de la fédé. Pourquoi pas ? Il a compris que le public n’a pas plus de mémoire qu’un chaton de trois jours. Moi, avec le concept déposé de «lose décomplexée», je pourrai continuer à passer à la télé. Avec le tirage du Loto par exemple. Tout est possible. Et si, par miracle, le XV de France l’emporte, à moi la présidence de la Française des jeux !

Dernier ouvrage paru : Personne ne court plus vite qu'une balle éditions L'Archipel, 2015, 280 pp, 19 €.