Et les Croisades révolutionnèrent la mode
Lorsqu’ils arrivaient en terres d’islam, l’une des premières choses qui frappaient les combattants et les pèlerins des XIIe et XIIIe siècles était la splendeur des étoffes et de leurs ornements. De conditions diverses, ces hommes retournaient en Europe avec le goût du beau vêtement. Au même moment, l’importation de tissus et de matières précieuses était facilitée par la création des Etats croisés d’Antioche, de Tripoli et de Jérusalem. Tous les ingrédients étaient réunis pour une révolution culturelle : l’élégance n’était plus réservée aux grands seigneurs, mais accessible à la petite noblesse. Même le clergé connut un vent de fronde vestimentaire : revenus de Palestine en 1254, les moines de l’ordre du Carmel arboraient de scandaleuses rayures (les vêtements à motif étaient une spécialité orientale). Il fallut trente ans et dix papes pour leur faire entendre raison et les convaincre de revenir à de l’uni.
Source : Lapham's Quarterly, automne 2015, 26 500 signes. L'auteure : Danielle Peterson Searls est historienne de l'art. Elle a notamment travaillé pour la maison d'enchères Christie's.
Le philosophe mexicain qui a maté Coca-Cola
Lorsqu'il a découvert, en 2006, les résultats d'une vaste enquête sur la nutrition au Mexique, Alejandro Calvillo s'est indigné : en sept ans, la consommation de sodas avait plus que doublé chez les adolescents ; l'obésité des enfants de 5 à 11 ans avait augmenté de 40% ; et les cas de diabète (première cause de mortalité dans le pays) avaient été multipliés par deux depuis 2000. Philosophe de formation, cet ancien dirigeant de Greenpeace Mexique a décidé de militer pour l'adoption d'une taxe sur les sodas. Une gageure dans un pays où les boissons gazeuses se consomment au biberon et où les industriels font tout (financement d'études, lobbying, campagnes de publicité) pour «casser le lien entre sodas et maladie». Mais Calvillo allait bénéficier dans son combat d'une arme aussi inespérée que redoutable : les millions de dollars de l'ancien maire de New York Michael Bloomberg, reconverti en apôtre anti-sucre.
Source : The Guardian, 3 novembre, 35 000 signes. L'auteure : Tina Rosenberg est une journaliste américaine, lauréate du Pulitzer de l'essai en 1996 pour son livre The Haunted Land : Facing Europe's Ghosts After Communism (Random House). Elle tient une chronique dans le New York Times.
Homo Egoisticus
Les écarts de revenus entre les riches et les super-riches ne préoccupent pas grand monde. C'est la preuve, pour le philosophe américain Harry Frankfurt, que l'égalité n'a pas de valeur intrinsèque : nous ne la désirons pas pour elle-même. Sur le plan scientifique, rien ne prouve que les humains désirent naturellement être égaux. Une expérience a montré que les enfants manifestent dès le plus jeune âge un «biais anti-égalité» : entre deux propositions de répartition, ils ont tendance à choisir celle qui les avantage par rapport aux autres. L'égalité observée dans certaines sociétés primitives serait elle aussi trompeuse : la parité n'y règne que «parce que les subalternes s'unissent pour constamment réprimer les éléments les plus assurés en leur sein». Dans ce cas, «l'égalitarisme est une forme bizarre de hiérarchie politique, dans laquelle les faibles joignent leurs efforts pour activement dominer les forts».
Source : The Atlantic, 8 500 signes. L'auteur : Professeur de psychologie à Yale et spécialiste des sciences cognitives, Paul Bloom est l'auteur de nombreux ouvrages, dont How pleasure works (The Bodley Head, 2010).