Le renseignement a un angle mort : l'analyse. La lacune a été relevée à de nombreuses reprises, y compris par Libération, lors du débat sur la loi renseignement votée en juin. Collecter des informations ne suffit pas, encore faut-il leur donner du sens, les interpréter, les resituer dans le temps long ou le contexte socio-économique. En France, l'anticipation est devenue une priorité des services en 2008. La direction générale de la sécurité extérieure dispose par exemple d'un pôle dédié à la prospective. Encore insuffisant au regard de «surprises stratégiques» récentes : la crise économique de 2008, la chute de Ben Ali ou l'annexion de la Crimée par la Russie…
Mais alors comment articuler les figures du savant et de l’espion ? En rapprochant l’université et les services de renseignement, répond le chercheur Sébastien Laurent. Une réponse lourde de conséquences : que devient l’indépendance du chercheur ? Et au-delà : quelle serait la place du savoir dans une société qui associerait production de la connaissance et défense des intérêts fondamentaux de la Nation ?
D’autant qu’entre les deux mondes, la confiance ne règne pas. Contrairement aux journalistes, avocats ou magistrats, les chercheurs ne bénéficient pas du «secret des sources», souligne le sociologue Marwan Mohammed. Celui-ci vient de renoncer à son projet de recherche sur la radicalisation, pourtant d’une brûlante actualité politique. Il ne pouvait assurer aux personnes qu’il interrogeait que les renseignements n’allaient pas, malgré lui, intercepter ses données. Sans terrain et sans source, point de recherche sérieuse. Point de savoir ni d’information.
Illustration Jocelyn Collages