C’est un effet direct des attentats de janvier et de novembre : François Hollande a sorti les drapeaux, a exhorté les Français à pavoiser leurs fenêtres du tricolore. Le Président invoque maintenant «l’âme française» comme le firent, avant lui, Jules Ferry et Ernest Renan après le choc de la défaite de 1871. Le chef de l’Etat, l’ancien premier secrétaire du PS, en appelle donc au patriotisme. Dans l’épreuve, il s’agit de rassembler les citoyens et d’incarner l’unité nationale. C’est la vocation même de sa fonction et cela n’a rien d’illégitime de la part d’un socialiste, mais cela constitue, néanmoins, une inflexion visible et taillée pour l’être. Face aux jihadistes, devant la perspective d’une longue et difficile lutte contre le terrorisme, François Hollande arbore son fanion officiel aux trois couleurs dont il se veut, comme son statut l’y incite, le dépositaire ostensible. Chacun comprend qu’il ne veut laisser la marque ni aux Républicains (LR) ni a fortiori au Front national (FN). Il entend bien être le porte-drapeau de la République et même, puisqu’il s’agit d’une forme de guerre, son gonfalonier. Patriotisme d’abord.
Pour un président de gauche, ce n'est évidemment ni une imposture ni une conversion. En France, c'est la monarchie qui a fait l'Etat, et c'est l'Etat qui a fait la Nation, contrairement à nos voisins allemands, anglais, italiens ou espagnols où c'est au contraire la Nation qui a fait l'Etat. Le patriotisme stricto sensu est né, en revanche, de la Révolution de 1789, donc de la gauche. Les soldats de l'An II, la levée en masse, Danton, Carnot, Kellermann, Hoche et Joubert en ont été les premières illustrations. La conscience du patriotisme est sortie des guerres de la Révolution, puis de l'Empire, même si l'idée de nation s'esquisse dès Philippe Auguste et culmine avec Louis XIV. Après l'Empire, durant lequel le patriotisme est à la fois héritage du jacobinisme et exaltation de l'épopée napoléonienne, sous la Restauration, ce sont les républicains, c'est-à-dire encore la gauche, qui brandit les trois couleurs. Après la misérable défaite de Sedan, les républicains, toujours eux, veulent poursuivre la lutte au nom du patriotisme. En fait, durant tout le XIXe siècle, le patriotisme est à gauche, jusqu'à ce que le boulangisme, puis l'affaire Dreyfus enfante le nationalisme. La gauche reste patriote, mais la voix du nationalisme porte plus haut et l'internationalisme pacifiste commence à brouiller les cartes. Les illusions jaurésiennes sont cependant irrésistiblement balayées par l'Union sacrée en 1914.
Durant l’entre-deux-guerres, l’ascension du Parti communiste recouvre de rouge le tricolore jusqu’aux menaces croissantes des fascismes. La gauche se veut alors à la fois internationaliste, pacifiste et patriote, cependant que la droite se divise entre nationalistes et munichois. Vichy et l’Occupation trient implacablement collaborateurs, vichyssois, attentistes, gaullistes et résistants. Les clivages traversent la gauche comme la droite mais, à la Libération, la gauche porte le tricolore. La guerre froide, la décolonisation, l’éveil européen compliquent de nouveau les choses. Le PCF est à ce moment-là d’abord internationaliste, la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) se divise entre pro et antieuropéens, entre pro et antidécolonisateurs. Durant la guerre d’Algérie, il y a des socialistes nationalistes et des socialistes décolonisateurs. Le patriotisme barrésien mais émancipateur du général de Gaulle éclipse de toute façon les fractures et les contradictions du patriotisme de gauche.
Avec François Mitterrand, le PS s’assume à la fois patriote et européen. La Révolution culturelle de 1968 a cependant ignoré le patriotisme et, à gauche le débat tourne ensuite autour de la question de l’Europe. La droite chiraquienne est plus patriote qu’européenne, la gauche mitterrandienne cumule patriotisme et Europe.
Le FN commence son ascension, bardé de drapeaux tricolores qu’il accapare sans que la gauche réagisse. La crise s’enracinant, l’extrême droite et les souverainistes alimentent un nationalisme de repliement, d’isolement, de xénophobie. La droite concilie euroréalisme et patriotisme. Les socialistes (sauf Ségolène Royal) donnent maladroitement le sentiment de n’être ni des Européens heureux ni des patriotes épanouis. Ils perdent en somme sur les deux tableaux.
C'est cette phase complexe et stérile que François Hollande veut maintenant clore et effacer. La crise l'entrave, la pression migratoire le défie, le terrorisme le menace, alors il ressort et déploie le drapeau tricolore, entonne la Marseillaise et retrouve des accents clemencistes. Personne ne peut le lui contester et, spontanément, beaucoup partagent cet élan face à des périls bien réels. Electoralement, rien ne prouve que cela lui sera bénéfique mais, moralement et psychologiquement, le président de gauche a toutes les raisons de convoquer le patriotisme.