Le parti politique espagnol Podemos est né début 2014 à l’initiative d’un petit groupe d’intellectuels d’extrême gauche. A la surprise générale, cette formation, née dans la continuité du mouvement des Indignés, emporte 5 sièges et 8 % des suffrages aux élections européennes de mai 2014. Douze mois plus tard, Podemos réédite son exploit en participant à des candidatures d’unité populaire, qui gagnent les mairies de Barcelone, Madrid, Saragosse, La Corogne et Cadix. Mais les élections européennes et municipales n’étaient qu’un tour de chauffe. Car les fondateurs de Podemos n’ont jamais caché leur ambition : prendre les rênes du pays en gagnant les législatives.
«Le moment pour lequel nous sommes nés est venu» : c'est sur ces mots que s'ouvre l'actuel clip de campagne de Podemos. Les législatives auront lieu ce dimanche 19 décembre. Les citoyens sont appelés à élire leurs députés qui, dans la foulée, éliront à la majorité simple le nouveau chef du gouvernement. Malgré une chute dans les sondages, les dirigeants de Podemos ne perdent pas espoir. Ils étaient donnés largement gagnants au début de 2015 et ils comptent toujours devenir la première force de gauche en Espagne. Pour mettre toutes les chances de son côté, Podemos développe une stratégie bien rodée, dont l'une des pièces maîtresse est d'abandonner les symboles, le vocabulaire et les références de la gauche.
En se présentant comme un parti «ni de gauche ni de droite», Podemos espère fédérer toutes les victimes des cures d'austérité que l'Espagne subit depuis huit ans sous les assauts répétés du Parti populaire de Mariano Rajoy et du Parti socialiste de José Luis Zapatero. La stratégie de Podemos est connue : rogner sur sa base idéologique afin d'élargir sa base électorale. Refusant de se positionner à gauche de l'échiquier politique, les représentants de Podemos préfèrent prendre partie pour «le peuple» contre «la caste», pour «les citoyens» contre «les élites» et pour «les gens ordinaires» contre «les politiciens et les banquiers». Le nouveau clivage politique n'opposerait donc plus les progressistes aux conservateurs libéraux mais les gens d'en bas à ceux d'en haut. Dans cette configuration, Podemos renvoie ses concurrents politiques dans la catégorie de «la caste» dont il convient de se débarrasser.
Si Podemos ne se reconnaît pas dans la grande famille de la «gauche», c’est pour deux raisons. D’abord, parce qu’un regard en arrière permet de s’apercevoir qu’au cours des trois dernières décennies, les partis de gauche ont mené des politiques de régression sociale n’ayant pas grand-chose à envier à celles des partis de droite. Tout comme la tragique expérience soviétique a liquidé l’idéal communiste, le bilan pitoyable de la social-démocratie européenne a dilapidé le crédit de la gauche. Les dirigeants de Podemos considèrent que les références classiques de la gauche radicale sont des stratégies de «perdants», des mots envoûtants mais inoffensifs, des idées aussi radicales qu’impuissantes. Il faut donc abandonner les éternelles invocations de «la classe ouvrière», de «l’anticapitalisme» et de «la vraie gauche» afin de leur substituer un langage plus compréhensible du grand public, qui fait appel aux «citoyens», à la «démocratie économique» et à «la patrie».
Podemos souhaite donc larguer les amarres qui le rattachent au continent de la gauche. Mais, au-delà des déclarations d’intention, Podemos est-il réellement parvenu à dépasser le clivage gauche-droite ? La question est complexe et mérite de rester ouverte. Ceci étant, trois indices permettent d’en douter : l’origine politique des fondateurs du parti, le positionnement idéologique de ses électeurs et le contenu économique de son programme.
Podemos a été créé, comme on sait, par des chercheurs en science politique, qui partageaient leur temps entre la lecture de Gramsci et l'étude des gouvernements néopopulistes d'Amérique latine. Pour lancer Podemos, ces politistes s'allièrent au parti Izquierda Anticapitalista, section espagnole de la IVe Internationale.
Les analystes commencent à dresser un panorama assez précis de l’électorat de Podemos. Or, s’il semble admis que Podemos a siphonné environ 600 000 voix à la droite et a convaincu beaucoup d’abstentionnistes de revenir aux urnes, il est surtout évident que la grande majorité de ses électeurs donnent depuis longtemps leur voix à des forces de gauche. Ils votaient auparavant pour le Parti socialiste ou pour Izquierda Unida (qui correspond plus ou moins au Front de gauche en France).
Enfin, le programme politique de Podemos aux législatives ne laisse pas non plus douter de sa coloration politique : forte taxation des hauts revenus et des grands patrimoines, fin des politiques d’austérité, investissements massifs dans les services publics et respect des droits sociaux. A ces aspects économiques s’ajoute un ensemble de mesures destinées à lutter contre le racisme, le sexisme et le productivisme.
Que Podemos soit ou non un parti de gauche est donc une question non résolue. Mais quelle qu’en soit la réponse, une certitude demeure : un succès du parti de Pablo Iglesias aux législatives espagnoles constituerait un bol d’air au lendemain de régionales qui, de l’autre côté des Pyrénées, annoncent une période compliquée. Le combat ne fait probablement que commencer.