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Ainsi, Manuel Valls, le Premier ministre français, a écrit le 1er décembre aux députés socialistes français pour leur enjoindre d'adopter le PNR, estimant qu'un refus « serait injustifiable auprès de nos opinions publiques ». « Le gouvernement a mis beaucoup de force pour nous convaincre », reconnaît avec un sens certain de l'euphémisme Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste française : « on a le sentiment et c'est désespérant qu'on n'est plus audible sur la question des libertés publiques ».
C'est une coalition composée des socialistes, des libéraux, des Verts et de la gauche radicale qui bloquait la création de ce fichier qu'ils considèrent comme portant une atteinte disproportionnée à la vie privée. « Il ne s'agit pas d'avoir accès aux données d'un individu dans le cadre d'une enquête, mais de recueillir celles de l'ensemble des voyageurs aériens afin d'établir des profils », s'indigne la députée libérale néerlandaise, Sophie In't Veld, inlassable défenderesse des libertés publiques: « cela pose un vrai problème de liberté publique quand on fiche toute une population uniquement parce qu'elle prend l'avion et non parce qu'elle présente un risque particulier, par exemple parce qu'elle voyage de ou vers certaines destinations ». De plus, à la différence des Etats-Unis, tous les vols intracommunautaires seront concernés et la liste des infractions qui permettra de l'utiliser est large (traite d'êtres humains, exploitation sexuelle des enfants, trafic de drogues, trafic d'armes, de munitions et d'explosifs, blanchiment d'argent et cybercriminalité)…
Le fichier PNR est une invention américaine qui remonte au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Il oblige les compagnies aériennes du monde entier à communiquer par avance toutes les données personnelles des passagers se rendant aux Etats-Unis : identité, moyen de paiement, itinéraire complet, profil de passager fidèle, bagages, partage de code, etc. L'idée est d'établir des profils de personnes « à risque » pour leur interdire l'accès au territoire américain. Les Britanniques ont suivi dans la foulée en 2004 afin de lutter contrer le terrorisme, mais aussi contre toute une série « d'infractions graves » dont la fraude fiscale… Le Danemark et la France (depuis 2007) disposent aussi d'un tel fichier et la Belgique devrait s'en doter prochainement.
Le PNR européen risque, en plus, d'être inefficace : en réalité, il ne s'agit que d'une harmonisation européenne de PNR nationaux. En effet, chaque pays récoltera les données des compagnies aériennes (y compris pour les vols intra-communautaire, comme s'y sont volontairement engagé les Etats) et il n'y aura aucune transmission automatique aux autres Etats… Il faudra que chaque « unité de renseignements passagers » nationale fasse une demande spécifique à un ou plusieurs pays pour obtenir les données qu'il souhaite, même si les pays sont autorisés à créer un fichier commun. « Il n'y a aucun système centralisé », grince Sophie In't Veld : « on se demande à quoi ces vingt-huit fichiers vont servir s'il s'agit bien d'identifier des gens à partir de leur parcours. C'est bien la preuve que nous ne nous faisons pas confiance entre nous alors qu'on transmet automatiquement nos PNR aux Américains ».
« En exigeant cette directive et en optant pour le tout sécuritaire, les Etats veulent éviter les questions gênantes sur leurs manquements propre dans la lutte contre le terrorisme et passent sous silence les problèmes réels, comme l'existence de ghettos ou l'exclusion », estime Sophie In't Veld.
N.B.: mon article paru dans Libération et reprenant les diverses mesures proposées par la Commission est ici.