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Libération
TRIBUNE

Le Président, deux binationaux et un lapin…

Déchéance de nationalité, la polémiquedossier
Petits enseignements d’une rencontre entre la romancière, l’écrivain Atiq Rahimi et François Hollande.
publié le 30 décembre 2015 à 17h51

Me réveillant le matin du 26 décembre pour me découvrir susceptible de déchéance, je suis allée retrouver une notule dans mon journal de bord du mois de mars. C’est sidérant de voir un gouvernement glisser en si peu de temps de la démagogie de gauche à la démagogie de droite.

Samedi 21 mars, Salon du livre. Quand j'arrive Porte de Versailles, mon attachée de presse m'appelle pour me dire que le président de la République veut me rencontrer. L'entretien a lieu avec Atiq Rahimi, doux et gentil comme à chaque fois que l'on se croise. Nous nous installons tous trois, les caméras commencent à filmer. Le Président nous félicite de notre étonnante maîtrise de la langue française, Atiq lui raconte le chemin invraisemblable qui l'a amené à écrire ses livres en français. Quand vient mon tour, je regarde le Président dans les yeux, et je lui dis : «Peu importe dans quelle langue on écrit, ce qui compte, c'est ce qu'on dit.» J'ajoute : «La vraie force de la France, en la matière, c'est qu'elle publie énormément de littérature étrangère en traduction.» Et, enfin je glisse : «Les écrivains étrangers sont très bien traités en France, mais de nombreux autres étrangers le sont moins, alors qu'eux aussi enrichissent le pays.»Je suis fière d'avoir réussi à placer ces trois phrases même si j'ai remarqué que François Hollande pendant ce temps, n'avait d'yeux que pour les caméras, et d'oreilles que pour les techniciens.

Après, en me serrant la main, il me dit avoir vu des affiches annonçant l'adaptation pour le théâtre, par Catherine Marnas, de mon roman Lignes de faille, et me demande de prévenir «Jean-Michel» (Ribes, directeur du Rond-Point) qu'il viendra le voir en matinée, le dimanche de Pâques. Je préviens le théâtre, mais le Président nous pose un lapin de Pâques. Il y a sûrement quelque chose dans la manière de communiquer des Français que, n'étant française que depuis trente-cinq ans, je ne capte pas encore.