Depuis quelques semaines déjà, l'université d'Oxford connaît les mêmes troubles que celle du Cap. Des étudiants veulent se débarrasser de la statue de Cecil Rhodes, l'homme derrière la colonisation britannique de l'Afrique australe. Ancien premier ministre de la colonie britannique du Cap, Rhodes avait été directement impliqué dans la conquête et la colonisation de deux territoires qui ont pris son nom, la Rhodésie du Nord (Zambie) et la Rhodésie du Sud (Zimbabwe). Raciste notoire, Rhodes avait accumulé une fortune personnelle dont il a légué 2% à l'université d'Oxford où il avait étudié entre 1873 et 1881.
Plus que l'histoire d'une statue, la campagne #RhodesMustFall souligne les rapports ambigus qu'une partie des élites du Royaume-Uni entretient avec le passé colonial du pays. Comme l'université d'Oxford (plus précisément le college Oriel) l'a elle-même reconnu, la statue « peut être comprise comme une célébration dépourvue de critique à la fois d'une figure controversée mais aussi du colonialisme et de l'oppression des communautés noires [...] Il s'agit d'un problème sérieux dans un college et une université abritant un mélange de personnels enseignants et d'étudiants internationaux. » On peut parler d'un certain malaise...
À Oxford, le nom de Rhodes se retrouve sur bien plus qu'une statue. Son argent a ainsi servi à la construction d'un bâtiment sur High Street au début du XXe siècle. Un édifice appelé Rhodes House a longtemps accueilli, entre autres, les archives d'administrateurs coloniaux britanniques. Ainsi pour faire des recherches sur le passé colonial africain, il fallait se rendre dans un bâtiment portant le nom de l'un de ceux qui avaient contribué à l'expansion de l'empire britannique. Depuis septembre 2014, les documents sont consultables à la Bodleian Library ; Rhodes House accueille maintenant des événements réservés aux plus fortunés. Si quelqu'un veut chanter, « Rule Britannia, rule the waves », c'est le moment.
Pour un lecteur français habitué à une instruction universitaire bien moins onéreuse car payée en (très) grande partie par l'État, le mouvement #RhodesMustFall révèle un mode de financement des études très répandu dans les pays de culture britannique. Ainsi, l'argent laissé par Rhodes à l'université d'Oxford a servi à mettre en place un trust et des bourses qui portent le nom de l'impérialiste du XIXe siècle. Des étudiants sélectionnés pour leurs résultats en licence peuvent ainsi obtenir des bourses Rhodes leur permettant de faire face aux frais d'inscription en master ou en doctorat à l'université d'Oxford (par exemple, 12 863 £ ou 17 406 € pour un Msc en African Studies pour un Européen en 2016/2017). Là où le système devient ironique est que certains de ces étudiants devenus des Rhodes scholars viennent d'Afrique du Sud, du Zimbabwe ou de Zambie. Comme si des Marocains obtenaient une bourse Lyautey pour venir étudier en France.
Logiquement, un questionnement plus large s'est créé sur la manière dont le Royaume-Uni a été influencé par ses colonies. Existent plusieurs écoles avec toute une palette d'interprétations entre ceux qui pensent que la colonisation et la décolonisation ne se sont faites que dans l'indifférence générale des Britanniques (Andrew Porter, un ancien Rhodes professor - oui le titre existe - de King's College London) et ceux qui, au contraire, ont une vision opposée où l'empire a eu une influence considérable sur la métropole (John MacKenzie). Ce débat est important puisqu'il montre à quel point une connaissance plus fine des années de la colonisation et de la décolonisation est nécessaire.
L’histoire de la statue de Rhodes révèle que l’histoire est toujours dynamique en étant constamment réécrite au fil des années. Même des faits comme les actions de Rhodes peuvent (et doivent) être réinterprétés par les nouvelles générations. Et si pour parler du racisme structurellement présent dans nos sociétés, nous devons envoyer des statues au musée, oui, Rhodes must fall.