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Libération
Billet

Nuit des idées : on a retrouvé les intellectuels

publié le 28 janvier 2016 à 19h21

A chaque convulsion ou crispation politique, on se demande où ils sont. Le FN premier parti de France, où sont les intellos ? Un million de migrants aux frontières de l’Europe, où sont les intellos ? Une société qui se déchire sur le principe de laïcité, où sont les intellos ? Avant, il y avait Sartre, Camus ou Foucault, qu’on adore aujourd’hui regretter. Ne serait-ce pas la fin de l’intellectuel français, être devenu inaudible, invisible, illisible, retranché dans des séminaires hyperspécialisés ? Mercredi soir, ils sont sortis de leur tour d’ivoire et ont discuté devant un public aussi jeune que nombreux, durant la Nuit des idées, succession de débats et de rencontres organisés au Quai d’Orsay par l’Institut français.

Par une sorte de miracle républicain, une foule calme et contrôlée (plan Vigipirate oblige) a investi les salons Napoléon III du ministère des Affaires étrangères pour écouter l’architecte Rem Koolhaas dialoguer avec le sociologue Bruno Latour. La mondialisation ? Il faut sortir de cette vision illusoire d’un globe interconnecté et heureux et revenir à la Terre pensée autour du concept de Gaïa, qui permet à Latour d’envisager la crise écologique sans la dichotomie paralysante de la nature et la culture.

L’intellectuel français a disparu ? Il est devenu international, Bruno Latour est une star dans les universités du monde entier. Sur des poufs à même les parquets cirés de la République, des auditeurs prennent des notes ou leurs aises, corps mi-assis, mi-allongés. A l’extérieur, le cortège de tous ceux qui veulent participer à ce happening des idées s’entortille autour de l’immense bâtiment en bord de Seine. Un gigantesque besoin de savoir et de comprendre traverse la société, les anonymes du quai d’Orsay le prouvent. Expliquer n’est pas excuser, quoi qu’en pensent certains, et les intellectuels, loin d’avoir disparu, disent leur engagement.

Historien né au Cameroun, travaillant entre les Etats-Unis et l'Afrique du Sud, Achille Mbembe affirme, à tous ceux qui prônent le repli national, une ouverture des «archives du monde». Et comme une réponse aux enragés de l'identité nationale, l'historien Patrick Boucheron renchérit : l'histoire n'a ni commencement ni fin, ce qui permet d'imaginer toute forme d'altérité. L'Académie française et, plus généralement, les médias aiment mettre en scène l'intellectuel français décliniste et nostalgique. Mercredi soir, la Nuit des idées a prouvé qu'il pouvait être international, engagé et ouvert sur le monde, sans pour autant céder à une forme d'angélisme.