Menu
Libération
Passage en revues

Baleines, les nouvelles Bridget et terrorisme : trois longs formats à lire ce week-end

Un cachalot au large du Sri Lanka, en avril 2013. (Photo Reuters)
par La rédaction de Books
publié le 30 janvier 2016 à 16h01

Chaque semaine, la rédaction du magazine «Books» décortique les longs formats des revues et sites anglo-saxons. Morceaux choisis aujourd’hui par Delphine Veaudor.

«Moby Dick», ancêtre de la Silicon Valley

L'Essex était le baleinier qui inspira à Herman Melville son célèbre roman. En 1819, sa campagne de pêche s'acheva par un naufrage et la dérive cauchemardesque de ses rescapés, mise en scène par Ron Howard dans Au Cœur de l'océan. Qu'est-ce qui poussait des hommes à risquer leur vie pour pêcher la baleine ? Un système d'incitations novateur, d'où serait né le modèle du capital-risque et des start-ups. Point d'ancrage : New Bedford, un port du Massachussetts. Organisés en consortium, de riches armateurs finançaient plusieurs expéditions en même temps. Malgré le nombre élevé de naufrages, le taux de rentabilité pouvait atteindre 60%. Les capitaines détenaient des parts du capital et les plus réputés d'entre eux négociaient un pourcentage élevé sur les futures recettes. L'équipage aussi était intéressé aux bénéfices.

Femmes vraiment désespérées

Elles ont la quarantaine, des enfants et/ou un chien, une grande maison avec une grande cuisine, un diplôme mais pas de travail (ou alors un travail pas à la hauteur, car il faut bien s'occuper des enfants, du chien et de la cuisine), ainsi qu'un mari charmant, dont on ne tarde pas à découvrir qu'il cache un tueur, un escroc (ou que, tout simplement, il trompe sa femme). Elles, ce sont les nouvelles Bridget Jones, le stéréotype de la ménagère désespérée qui peuple depuis quelques années les pages de best-sellers anglo-saxons. Contrairement à la Bridget première époque, les héroïnes des années 2010 ont trouvé la stabilité. Mais elles ont vite déchanté. Au point d'avoir, comme la Gone Girl de Gillian Flynn, des envies de vengeance sanglante. Le genre baptisé «chick noir» (chick pour «poulette») puise à des angoisses toutes contemporaines : la crise, le terrorisme, la surveillance de masse et la peur diffuse que tout s'écroule comme un château de cartes.

Auteure : Paula Rabinowitz est professeure d'anglais à l'université du Minnesota. Son livre le plus récent (American Pulp: How Paperbacks Brought Modernism to Main Street) est paru en 2014 aux Presses de Princeton.

Daech vu par Conrad

Dans l'Agent secret, roman de Joseph Conrad paru en 1907, un chimiste raté se promène en caressant dans sa poche le détonateur d'une bombe ; un agent qui prend ses ordres à l'étranger est chargé d'«accentuer l'agitation» ; et un personnage se présentant comme «le terroriste» rêve d'hommes «assez forts pour s'octroyer ouvertement le titre de destructeurs». Les écrivains n'ont pas attendu le XXIe siècle pour explorer le thème du terrorisme. Conrad, mais aussi Dostoïevki et Camus, ont mis en scène des personnages d'anarchistes et de révolutionnaires prêts à tuer (et parfois à se tuer) pour déstabiliser le système. Les lire, c'est s'aventurer là où aucun chercheur n'entre jamais vraiment : dans la tête du tueur – au plus près de ses «motivations bassement humaines» (la frustration, la jalousie, le sentiment d'échec), qui toujours s'ajoutent aux mobiles affichés, que ceux-ci soient politiques ou religieux.

Auteur : Professeur d'histoire à l'université de Houston, Robert Zaretsky a publié un essai sur Albert Camus. On peut lire de lui, en français, le Coq et le Taureau (Gaussen, 2008).