Martin Schulz rêve de se succéder à lui-même
pour la seconde fois. Élu président du Parlement européen en janvier 2012, ce
social-démocrate allemand a été reconduit dans ses fonctions en juillet 2014.
Normalement, il est censé céder la place à un membre du PPE (Parti populaire
européen) en janvier 2017, en vertu de l’accord de grande coalition passé entre
les socialistes et les conservateurs (les libéraux l’appuient), mais il se
démène pour rester en place. Et ainsi pulvériser les records de longévité à ce
poste (7 ans et demi). Ses chances sont loin d’être négligeables, les astres
politiques semblant s’aligner en sa faveur en ce début d’année.
Ce dimanche, il va accueillir à Strasbourg le
diner entre la chancelière allemande et le président français afin d’avancer
ses pions. Angela Merkel semble être favorable à sa reconduction : elle n’a
aucune envie de le voir revenir dans le jeu politique allemand en pleine année
électorale, comme il en a manifesté l’intention s’il devait quitter le
perchoir, Schulz étant moins souple que Sigmar Gabriel, le patron du SPD. François
Hollande n’y est pas opposé, même s’il se garde bien de prendre parti pour
l’instant : outre qu’il s’entend bien avec ce francophone et francophile, il
estime qu’un socialiste doit présider au moins l’une des trois grandes institutions
communautaires. Or, si le Parlement passe au PPE, cela ne sera plus le
cas : la Commission est présidée par le social-chrétien luxembourgeois,
Jean-Claude Juncker et le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement
par le libéral polonais Donald Tusk. Le seul poste important qui serait encore
détenu par la gauche au sens large serait celui de ministre des Affaires
étrangères de l’Union et vice-président de la Commission, en l’occurrence
l’Italienne Federica Mogherini.
Un équilibre qui ne reflèterait plus celui du
Parlement où les socialistes sont la seconde force politique, ni celui du
Conseil européen qui comprend désormais 9 socialistes (plus le leader de
Syriza, Alexis Tsipras), 8 conservateurs et 7 libéraux (les autres sont soit
indépendants, soit membres des eurosceptiques de l’ECR). En outre Schulz peut
faire valoir qu’il est le garant de la « grande coalition » issue des
élections de mai 2014 et que lui seul peut à peu près maitriser les turbulents
socialistes, bien moins disciplinés que les conservateurs. Ceux-ci auront
tendance, avec un président conservateur, à jouer les guérilléros contre des
institutions dominées par la droite. Autant d’arguments qui ont convaincu
Juncker d’appuyer Schulz. Le problème est que cette reconduction irait à
l'encontre de l'accord écrit que Schulz a cosigné avec Manfred Weber, le patron
du groupe PPE. En effet, il est de coutume depuis 1979 que les partis qui
s'entendent pour former une coalition afin de se répartir les meilleures places
du Parlement, en général le PPE et le PSE (à l'exception de l'accord libéraux-socialistes,
entre 1979 et 1984, et celui libéraux-PPE entre 1999 et 2004) se partage le mandat de président : deux ans et demi pour chaque
famille politique. Une pratique qui affaiblit le représentant de la seule
institution européenne élue au suffrage universel, celui-ci n'ayant
généralement pas le temps de s'imposer comme un interlocuteur de poids. Mais
qu'importe : l'appétit pour l'apparence du pouvoir est plus fort que le
souci de l'intérêt de l'institution.
Autant dire que l’ambition de Schulz passe mal
dans les rangs du PPE qui a déjà dû avaler son élection à la tête du Parlement
alors même que celui-ci venait de perdre la course à la présidence de la
Commission, les élections européennes ayant été gagnées par la droite. « Dans
quel pays le perdant reçoit en lot de consolation la présidence du
Parlement ? », s’indigne un député. Même si personne ne remet en
cause le principe du partage du mandat, beaucoup estiment que le perchoir
aurait dû revenir à un autre socialiste. Alors un troisième mandat pour Schulz…
Toute la difficulté pour la droite serait
d’aller à l’encontre de la volonté de la Chancelière, qui règne en maître sur
le PPE : ainsi, c’est elle qui a décidé, en 2014, d’offrir le poste à
Schulz, en lot de consolation, sans consulter personne. D’autant que le PPE n’a pas de candidat incontestable: seul le Français Alain Lamassoure sort des rangs, mais il souffre d’être Français, les Républicains ne pesant presque rien au sein du groupe conservateurs. Certains mettent leurs
espoirs dans la présidence du Conseil européen qui pourrait être offerte à un
socialiste, ce qui lèverait l’hypothèque Schulz. En effet, le nouveau
gouvernement polonais semble vouloir la peau de Tusk, ancien premier ministre
libéral du pays, dont le mandat doit être renouvelé à la fin de l’année pour
deux ans et demi. Même si, formellement, il n’a pas besoin d’être appuyé par
son pays d’origine et que les chefs d’État et de gouvernement votent à la
majorité qualifiée, l’affaire semble très compliquée pour Tusk. La partie
d’échecs ne fait que commencer.