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Libération
TRIBUNE

Prolongation de l’état d’urgence : pour nous, c’est encore non

Six députés qui avaient voté contre une prolongation de l’état d’urgence le 19 novembre persistent ce mardi.
A Nantes le 30 janvier. (Photo Jean-Sebastien Evrard. AFP)
par Noël Mamère, Barbara Romagnan, Pouria Amirshahi, Sergio Coronado, Gérard Sébaoun et Isabelle Attard
publié le 15 février 2016 à 17h11

Le 16 février, les députés sont appelés à se prononcer sur une nouvelle prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Le 19 novembre, nous nous étions opposés à la première demande de prolongation formulée par l’exécutif, et espérons être plus nombreux ce mardi lors du vote solennel qui nous demande de proroger une deuxième fois l’état d’exception.

En effet, les dernières dispositions votées ont modifié la loi de 1955 dans un sens encore plus répressif : élargissement des pouvoirs du ministère de l’Intérieur et des préfets, création du délit prédictif qui permet la perquisition et l’assignation à résidence sur le simple «comportement» des individus. Décidées sous le coup de l’émotion et au nom de la lutte contre le terrorisme, ces mesures nous entraînent dans une logique sécuritaire sans fin, qui banalise l’état d’exception et affaiblit notre Etat de droit.

Le Premier ministre l'a exprimé, sous une forme brutale, en «indexant» la durée de l'état d'urgence sur «les menaces terroristes permanentes» et la mise hors d'état de nuire de Daech. Si nous jugions nécessaire un état d'urgence de douze jours au lendemain des attentats de novembre, sa prolongation de trois mois nous paraissait être de nature à le transformer en règle. C'est le triste constat que nous faisons, alors que son inefficacité, voire son inutilité, est prouvée. Le 9 février, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, n'indiquait-il pas que sur les 3 340 perquisitions effectuées, avec toute la violence qu'elles comportent pour les personnes dont le domicile est fouillé, seules un cinquième d'entre elles ont donné lieu à la constatation d'infractions, et très rares étaient les infractions liées au terrorisme - six personnes étant en procédure judiciaire pour terrorisme ? Après deux semaines d'application, Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission de contrôle parlementaire de l'état d'urgence, avait fait part d'«interrogations manifestes» sur la «justification de certaines mesures individuelles ou générales». Des dérives contre les écologistes au moment de la COP 21 ou contre des familles musulmanes sur la seule base de dénonciations ou de notes parfois bien fragiles ont été constatées.

L’état d’urgence ne peut être banalisé. Accepter une logique d’arbitraire et une société du soupçon, ce n’est pas combattre Daech, mais diviser la France et creuser un fossé entre les Français. C’est concéder une défaite aux adversaires de la démocratie. Surtout, en rien ces dispositifs ne s’attaquent dès maintenant et pour longtemps aux causes et aux risques de radicalisation de certains jeunes Français. De nombreuses voix se sont élevées contre ces mesures restrictives des libertés publiques et individuelles. Magistrats, avocats, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes refusent cette mise sous tension de la société. Comme l’a dit Robert Badinter, l’Etat de droit n’est pas l’état de faiblesse : il sait que nous disposons déjà d’un arsenal juridique suffisant pour combattre efficacement les crimes terroristes.

Notre analyse demeure : dans notre combat contre le terrorisme, la prolongation de l’état d’urgence n’est qu’une ligne Maginot servant davantage à rassurer une opinion qu’à la protéger réellement contre les risques terroristes. En conscience républicaine, nous ne voterons pas cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence… Et nous appelons nos collègues à faire de même.